dimanche 28 avril 2024.

Beati qui lugent

Fac me tecum pie flere, Crucifixo condolere, Donec ego vixero1

Sagesse du Christ, sagesse du monde.

Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés !

Pour saisir la portée de ce divin paradoxe, il faut se rappeler ce que sont les béatitudes : un préambule à l’Evangile. Elles indiquent les conditions préalables, nécessaires à l’acceptation et même à l’intelligence du message de salut apporté par Jésus-Christ à la terre.

Quiconque ne commence par réformer ses idées sur les joies, plaisirs et autres biens terrestres, quiconque ne renverse radicalement dans son esprit l’échelle des valeurs, en donnant la première place à celles d’éternité et la dernière aux valeurs temporelles, se met dans l’incapacité totale de comprendre l’Evangile. Il en saisira des bribes, l’essentiel lui échappera.

Celui-là au contraire a merveilleusement compris l’esprit de l’Evangile qui a écrit :

Plus tout nous manque sur terre, plus nous trouvons ce que la terre peut nous donner de meilleur, la Croix ».2

Bienheureux ceux qui jouissent, dit le monde.

Malheur à vous, qui riez maintenant, répond le Christ3.

Malheur à ceux qui sont contents de leur sort et ne désirent plus le ciel ; malheur aux âmes que les plaisirs ou la volupté détournent de la prière, des pensées sérieuses et du service de Dieu.

Sagesse du monde, sagesse du Christ. Manières diamétralement opposées de comprendre la vie. Pour le monde, il faut y mettre, et tout de suite, le plus de plaisir possible. Pour nous, chrétiens, la vie est une épreuve, une expiation, une attente. Elle réserve des joies, et de grandes, mais ce sont les joies de l’Esprit, qui se nomment espérance, paix, amour de Jésus et de sa croix.

Pensons donc à effacer nos péchés dans la componction et dans les larmes, et Dieu nous consolera en nous donnant la paix du cœur.

Dieu tout-puissant et très doux, qui avez fait jaillir du rocher, pour votre peuple altéré, une source d’eau, tirez de notre cœur endurci des larmes de componction, afin que nous puissions pleurer nos péchés et que nous méritions, par votre miséricorde, d’en obtenir le pardon »4.

Nature des larmes béatifiées par Jésus.

Il y a trois sortes de larmes qui sont l’œuvre du Saint-Esprit et que le Sauveur béatifie : larmes de dévotion, larmes de contrition, larmes de réparation et de compassion.

Larmes de dévotion

— versées sur la longueur de cet exil qu’est la vie, sur notre fragilité, sur les dangers de l’âme, sur la difficulté qu’on éprouve à aimer le bon Dieu.

Larmes bienheureuses, à condition toutefois qu’elles fassent regarder Dieu, qu’elles inclinent à prier, qu’elles aboutissent finalement à un acte de confiance, car de telles larmes ne seraient pas salutaires si elles nous déprimaient.

Larmes de la contrition et de la componction.

Larmes de la pécheresse pardonnée, de S. Pierre, de Charles de Foucauld. Larmes deux fois heureuses lorsqu’elles proviennent de l’amour plus encore que de la crainte.

Ceux qui les versent, nous dit le Christ, seront consolés. La pénitence, en effet, place l’homme, enfant prodigue, dans l’attitude qui convient vis-à-vis de Dieu :

Père, j’ai péché contre le ciel et contre Vous.

Nul doute alors que Dieu ne prenne à son tour l’attitude qui convient à sa nature et à son cœur : celle d’un père infiniment tendre et miséricordieux, qui se jette au cou de son enfant et met tout en œuvre pour le consoler.

La grande, la substantielle consolation, c’est l’Esprit-Saint, dont la liturgie nous dit qu’il est en personne la rémission des péchés. Jésus, en effet, a promis de prier le Père, qui nous donnera un autre Paraclet, un consolateur. L’âme le reçoit en propre :

Le Père vous le donnera — dabit — pour qu’il demeure avec vous éternellement5

Ici-bas, ce divin consolateur fait goûter la paix du cœur. Tout son désir est de donner cette paix aux âmes : c’est pour cela qu’il leur envoie ses anges et ses prêtres. Mais là-haut

Dieu lui-même sera (avec ses élus), et Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort n’existera plus, ni le deuil, ni le gémissement, ni la peine ; toutes ces choses d’autrefois auront passé »6

Larmes versées sur les offenses faites au Père céleste, sur les scandales qui atteignent l’âme des enfants, sur l’impiété des sans-Dieu et des persécuteurs :

Mes yeux ont répandu des torrents de larmes, dit le psalmiste, parce qu’on n’observe pas votre loi.7

Larmes de quiconque compatit à la passion de Jésus ; larmes des chemins de croix, des heures saintes, des messes entendues en esprit de réparation ; larmes versées sur le Christ et sur le corps mystique du Christ, sur les persécutions, schismes et autres maux qui affligent la sainte Église8. De telles larmes, inspirées par l’amour et accompagnées de prière, sont d’une grande valeur aux yeux de Dieu, car elles apaisent sa justice et font descendre une pluie de grâces. Au ciel seulement, nous connaîtrons tout leur prix. Nous verrons alors combien nos sacrifices et nos larmes ont été utiles au corps mystique du Christ et cette vue nous remplira d’une joie ineffable.

Il y a bien d’autres sortes de larmes,

— maladies, deuils, chagrins, qui ne sont pas directement l’œuvre du Saint-Esprit. Et, cependant, il ne dépend que de nous de les faire rentrer dans la troisième béatitude.

Toute tristesse, de quelque nature qu’elle soit, du moment que nous la supportons avec une humble résignation9, devient une source de grâce jaillissant pour la vie éternelle et méritera un jour le bienheureux effet des promesses divines.

Il n’y a pas jusqu’à la souffrance qui résulte de nos sottises, de nos négligences et de nos fautes qui ne puisse mériter les consolations célestes. S’il est clair, en effet, que Dieu n’a pas voulu nos péchés, il est par ailleurs manifeste que les misères qui en résultent sont voulues par Lui d’une certaine manière, puisqu’elles nous arrivent en vertu de lois, psychologiques ou autres, établies par sa Providence. Il y a donc place, là aussi, non seulement pour la contrition, mais pour une acceptation et un abandon qui peuvent devenir très méritoires.

Ô Jésus, qui avez employé les derniers instants de votre vie à consoler vos apôtres en leur disant : « En vérité, en vérité, je vous le déclare : vous pleurerez et vous serez dans le deuil, tandis que le monde se réjouira ; vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie »10, donnez-moi une foi ardente en mon bonheur futur, donnez-moi la foi de Simon-Pierre, donnez-moi l’espérance, et j’emporterai de mon prie-Dieu la plus intime et la plus suave des consolations, et je deviendrai capable à mon tour de remplir auprès des autres l’office divin de consolateur.


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p. 96-101.

  1. Stabat
  2. P. Ch. DE FOUCAULD, Écrits, p. 267.
  3. Luc 6, 25
  4. Missel, oraison pour demander le don des larmes
  5. Jean 14, 16
  6. Apocalypse 21, 3-4, traduction du R. P. LEBRETON, I, p. 184.
  7. Ps. 119, 136
  8. Entendons-nous bien sur le sens du mot « larmes » : Dieu ne demande pas les larmes matérielles qui ne dépendent pas de nous, mais la bonne volonté. Le simple fait de consacrer notre attention à Jésus souffrant attire d’abondantes bénédictions. L’Eglise l’a compris ainsi, comme le prouvent les indulgences si largement concédées au Chemin de la Croix.
  9. « En soi, la souffrance n’a pas de valeur morale; ce n’est pas le diamant, mais la monture. Le diamant, c’est la résignation qui fait embrasser la souffrance en union avec le Christ souffrant. » (F. Prat, 0. C., I, p. 273.) Telle est la leçon qui se dégage de la parabole du pauvre Lazare (Luc 16,19-31), commentaire divin de la troisième béatitude.
  10. Jean 16, 20
Article précédent
Article suivant

Textes à Méditer

Lectures Chrétiennes

Suivez-nous !

Choix de la Rédaction

Catégories

Étiquettes