vendredi 19 avril 2024.
 

Le Carmel

Le temps était si beau et l’air si doux, que tous les passagers restaient la nuit sur le pont. J’avais disputé un petit coin du gaillard d’arrière à deux gros caloyers1 qui me l’avaient cédé qu’en grommelant.

C’était là que je dormais le 30 septembre, à six heures du matin, lorsque je fus éveillé par un bruit confus de voix : j’ouvris les yeux, et j’aperçus les pèlerins qui regardaient la proue du vaisseau. Je demandai ce que c’était ; on me cria :

Signor, il Carmelo !

 “Le Carmel !”

Crédit photo : Kameron Kincade on Unsplash
Crédit photo : Kameron Kincade on Unsplash

Le vent s’était levé la veille à huit heures du soir, et dans la nuit, nous étions arrivés à la vue des côtes de Syrie. Comme j’étais couché tout habillé, je fus bientôt debout, m’enquérant de la montagne sacrée.

Chacun s’empressait de me la montrer de la main, mais je n’apercevais rien, à cause du soleil qui commençait à se lever en face de nous.

Crédit photo : @felipequeiroz on Pixels

Ce moment avait quelque chose de religieux et d’auguste ; tous les pèlerins, le chapelet à la main, était resté en silence dans la même attitude, attendant l’apparition de la Terre Sainte ; le chef des papas priait à haute voix : on n’entendait que cette prière et le bruit de la course du vaisseau, que le vent le plus favorable poussait sur une mer brillante.

Ce moment avait quelque chose de religieux et d’auguste ; tous les pèlerins, le chapelet à la main, était resté en silence dans la même attitude, attendant l’apparition de la Terre Sainte ; le chef des papas priait à haute voix : on n’entendait que cette prière et le bruit de la course du vaisseau, que le vent le plus favorable poussait sur une mer brillante.

Crédit photo : Anastasia Taioglou on Unsplash
Crédit photo : Anastasia Taioglou on Unsplash

De temps en temps entends un cri s’élevait de la proue quand on revoyait le Carmel. J’aperçus enfin moi-même cette montagne comme une tache ronde au-dessus des rayons du soleil. Je me mis alors à genoux à la manière des Latins. Je ne sentis point cette espèce de trouble que j’éprouvai en découvrant les côtes de la Grèce ; mais la vue du berceau des Israélites et de la patrie des chrétiens me remplit de crainte et de respect2.

J’allais descendre sur la terre des prodiges, aux sources de la plus étonnante poésie, aux lieux où, même humainement parlant, s’est passé s’est le plus grand événement qui ait jamais changé la face du monde, je veux dire la venue du Messie ; j’allais aborder à ces rives que visitèrent comme moi Godefroy de Bouillon, Raimond de Saint-Gilles, Tancrède le Brave, Hugues le Grand3, Richard Cœur de Lion, et ce saint Louis dont les vertus furent admirées des infidèles.

Obscur pèlerin, comment oserais-je fouler un sol consacré par tant de pèlerins illustres ?


Notes & Références

Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, III. Rhodes, Jafa, Bethléem et la mer Morte, François-René de Chateaubriand, Éditions Gallimard, 2005, p. 277-278.

  1. Caloyers : moines Basiliens qui formaient la partie la plus instruite du clergé orthodoxe.
  2. Le Journal évoque, p. 36, « une sorte de sainte horreur »; expression qui relève alors qui registre du sublime.
  3. Hugues le Grand : comte de Vermandois, mort à Tarse en 1102, âgé de 45 ans.

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