dimanche 28 avril 2024.
 

Supportons l’Ivraie

Jésus doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre.

La parabole

Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que tout le monde dormait, son ennemi vint, sema de l’ivraie par-dessus, au milieu du blé, et s’en alla. Quand l’herbe eut poussé et donné son fruit, alors parut aussi l’ivraie. Les serviteurs vinrent dire au maître : « Seigneur, n’avez-vous pas semé du bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? » — Lui de répondre : « C’est un ennemi qui a fait cela. » — Les serviteurs lui dirent : « Voulez-vous que nous allions la ramasser ? » – Il dit : « Non, de peur qu’en ramassant l’ivraie, vous ne déraciniez aussi le blé. Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, amassez-le dans mon grenier.1 »

Expliquant lui-même cette parabole2, Jésus déclare que le mélange des bons et des méchants, figurés par le blé et par l’ivraie, durera jusqu’à la fin du monde, dans l’intérêt même des bons. Tel est l’enseignement authentique et littéral. Nous en tirerons deux leçons, l’une de patience, l’autre d’humilité et de douceur.

Leçon d’humilité et de douceur.

In medio tritici…3

Dans le grand Royaume, qui est l’Eglise, et dans le royaume de Dieu en miniature qu’est mon âme, l’ivraie est mêlée au bon grain. Il en est et il en sera toujours ainsi. J’en souffre, et ce qui exaspère ma souffrance, à moi qui me range sans sourciller parmi les bons, c’est de rencontrer partout l’ivraie, même là où elle ne devrait pas se trouver, même parmi mes proches, parmi ceux que j’ai choisis pour compagnons de mon existence ; ce qui me choque enfin plus que tout le reste, c’est de la rencontrer jusque dans le sanctuaire.

Pensez-vous, disait S. Augustin à ses fidèles, que l’ivraie ne puisse monter dans le sanctuaire ? Croyez-vous qu’il n’y en ait qu’en bas et point en haut ?

Plaise à Dieu que nous ne soyons pas nous-mêmes cette ivraie !

« Oui, je le déclare à votre charité : il y a dans le sanctuaire de l’ivraie4 avec le bon grain et dans le peuple il y a du froment mêlé à l’ivraie. Que les bons supportent donc les méchants, mais que les méchants se convertissent et imitent les bons.5 »

Gardons-nous d’être trop simplistes et de classer le prochain en deux catégories bien distinctes, car si l’Eglise universelle est un champ où il y a de tout, chacune des âmes, pour peu qu’elle soit sincère, doit en dire autant d’elle-même : bon grain à nos heures, nous sommes ivraie à d’autres. Confessons-le en toute franchise, et alors nos défauts auront du moins cet heureux effet de nous rendre indulgents pour les faiblesses d’autrui.

Qu’on ne rencontre jamais sur nos lèvres, car elles trahissent un manque de soumission à la Providence, des paroles comme celles-ci : « Souffrir de la part des méchants, des ennemis de la religion, passe encore ; mais avoir à supporter les indélicatesses de mes proches, de mes parents, de ceux que j’ai admis librement dans mon intimité, voilà ce que je n’accepterai jamais. »

Imitons plutôt le doux évêque de Genève.

Une des manifestations les plus caractéristiques de sa sainteté est qu’il s’entourait volontiers de gens qui le faisaient souffrir. On ne saura qu’au ciel tout ce que la patience de S. François de Sales dut au contact de monsieur Déage, le précepteur revêche qui l’avait forcé un jour, jeune étudiant, à voyager nu-tête, parce que le vent avait emporté son chapeau. Devenu évêque, il le garda près de lui, quoiqu’il s’acharnât à le contredire en toutes choses, et supporta ses originalités jusqu’à sa mort.

Leçon de patience.

Sinite utraque crescere…6

N’allez pas dévaster ma moisson par un zèle intempestif, nous dit Jésus. Imitez la prudence, la discrétion, la longanimité des véritables apôtres ; laissez l’ivraie croître à côté du bon grain ; employez, pour exterminer l’herbe folle, les moyens surnaturels ; quand vous avez fait votre possible, ne vous tourmentez pas, mais abandonnez le résultat à votre Père du ciel ; enfin et surtout gardez-vous bien de recourir à la violence.

Jésus nous donne donc une leçon de patience.

Presque tous, en face du mal, choses ou personnes, nous sommes portés par tempérament à nous irriter, et nous repoussons brusquement ce qui fait opposition à notre manière de voir, à nos sentiments, à notre idéal. Comme David, nous exterminerions volontiers tous les pécheurs de la terre7 ; comme Jacques et Jean, nous sommes prêts à faire descendre le feu du ciel sur ceux qui ne se rendent pas à nos exhortations8.

« Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes », pourrait nous répondre Notre-Seigneur ; mon esprit à moi est un esprit de douceur, de patience et d’abandon à la Providence. Or le mal, le mal moral comme le mal physique, entre dans le plan du Père céleste. Dieu pourrait, s’il le voulait, ôter les méchants de ce monde, les mettre hors d’état de nuire, arrêter leurs scandales ; mais il se garde bien de le faire. Il trouve plus digne de sa sagesse, plus utile à sa gloire de faire jaillir le bien du mal. Il tolère donc l’ivraie, mais dispose les événements de telle sorte que son voisinage devienne utile au bon grain. Il veut que les méchants exercent la patience des bons et que les bons s’emploient à la conversion des méchants9.

Ô Jésus, par la douceur avec laquelle vous supportiez les défauts de vos apôtres, daignez réformer mon cœur et le modeler sur le vôtre.

Répétition.

S. Jean Climaque, dans son Echelle du paradis, nous conte la délicieuse histoire du moine Abba-Kir, qui vivait dans un monastère voisin d’Alexandrie10.

Dès son arrivée, S. Jean avait remarqué que le prieur employait avec ses novices la manière forte. Mais pour le pauvre Abba-Kir, du haut en bas de l’échelle tout le monde s’y mettait. Il n’y avait pas de misères qu’on ne lui fît. Ainsi, durant son séjour, S. Jean remarqua que les servants, à l’heure du repas, l’expulsaient presque chaque soir du réfectoire. Pour tout dire, il faut reconnaître que le moine n’était pas sans défaut et avait à ses heures son franc parler. « Qu’y a-t-il donc, Frère Abba-Kir, lui demanda un jour S. Jean, qu’on vous traite de la sorte et qu’on vous envoie coucher sans souper ? — Oh ! Père, répondit l’autre avec un bon sourire, c’est cousu de fil blanc. Tout cela, voyez-vous, n’est pas sérieux. Nos Pères veulent éprouver ma vocation et voir si je suis capable de faire un vrai moine…

Je n’ai encore passé que quinze années dans le monastère. Or, à mon entrée, j’ai appris que c’est la coutume ici d’éprouver les postulants pendant trente ans, pour voir s’ils ont sérieusement renoncé au monde. » Abba-Kir devait vivre encore deux ans.

Quand l’heure de sa mort arriva, ce fut un transport de joie et de reconnaissance :

« Béni soyez-vous, ô Seigneur Jésus, bénis vous aussi, Frères bien-aimés ! Je puis vous le confesser aujourd’hui : les épreuves que vous m’infligiez pour mon bien ont été si salutaires que pendant ces dix-sept années le démon ne m’a jamais tenté une seule fois. »

Imiter la candeur du Frère Abba-Kir, cela n’est pas donné à tout le monde, mais tous nous pouvons imiter son esprit de foi et recevoir comme de la main de Dieu les désagréments qui nous viennent du prochain.

Bon gré mal gré, il nous faut porter une croix : pourquoi ne serait-ce pas celle que Dieu nous présente par l’intermédiaire de nos frères ?


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III,  « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p.166-170.

  1. Matt XIII, 24-30.
  2. Matt. XIII, 36-42
  3. Au milieu des blés
  4. Certaines paroles de Notre-Seigneur à des âmes privilégiées en disent long sur ce sujet : « J’ai besoin, disait-il en 1903 à la bienheureuse Gemma Galgani, d’une expiation immense, particulièrement pour les péchés et les sacrilèges dont je me vois outragé par les ministres du sanctuaire… Si je n’avais égard aux anges qui entourent mes autels, combien j’en foudroierais sur place ! »
    La Bienheureuse s’offrit de suite en victime et comprit que son geste était agréé. Elle mourut onze mois plus tard, après de terribles souffrances d’estomac (Vie par le P. Germano, p. 356).
  5. Sermon 73
  6. Laisser les deux grandir.
  7. « Chaque matin j’exterminai tous les méchants du pays, afin de retrancher de la cité de Yahweh tous ceux qui commettent l’iniquité. (Psaume CI, 8)
  8. Ce que voyant, ses disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descend du ciel et les consume ? » Jésus, s’étant retourné, les reprit en disant : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes ! Luc IX, 54-55.
  9. Le texte qui nous occupe sert d’évangile au Vè dimanche après l’Épiphanie. La liturgie lui a assigné très heureusement pour épitre le beau passage (III, 12-17) de la lettre de saint Paul aux Colossiens sur le support mutuel.
  10. Migne, P. G., 88, 694, 695.

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