lundi 29 avril 2024.

Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam

Comme le cerf soupire après les sources d’eau, ainsi mon âme soupire après vous, ô Dieu !1

Désir véhément de la perfection.

La justice dont parle ici Jésus, c’est la perfection, la sainteté, l’union à Dieu. Avoir faim et soif de justice, c’est la désirer avec véhémence, accomplir tout son devoir et agir avec Dieu comme un fils toujours préoccupé de lui plaire.

Les mots de faim et de soif montrent ce que doit être notre désir. La faim est chose si impérieuse qu’elle domine les autres appétits et va jusqu’à étouffer les sentiments de la nature. La soif, plus cruelle encore, ne laisse pas de repos ; arrivée à son paroxysme, elle fait perdre la raison. Tels sont les sentiments que nous devons éprouver à l’égard de la justice :

Il faut, dit S. Jérôme, que nous ayons faim, n’estimant jamais que nous sommes assez justes ; il faut que nous en ayons soif, au point d’éprouver une véritable souffrance tant que notre aspiration n’est pas satisfaite.

Sainte Vierge Marie, saint Joseph, saint Jean, vous qui avez été au tout premier rang parmi les âmes de désir béatifiées par le Christ, donnez-moi un désir constant et insatiable de sainteté, et obtenez-moi les « vifs sentiments de foi, d’espérance et d’amour » (O bon et très doux Jésus…) qui m’uniront à Dieu.

Le désir de Dieu est une faveur.

C’est une grâce du ciel, une des plus grandes grâces, que de ressentir le désir de Dieu2. Il y a tant d’âmes qui ne l’éprouvent jamais ou qui l’éprouvent peu. C’est une « grâce » au sens propre du mot, c’est-à-dire une gracieuseté que nous ne méritions pas, une faveur que nous n’avions même pas songé à demander.

En matière de salut et de perfection comme en toutes choses, c’est toujours Dieu qui a l’initiative :

Personne ne vient à moi, a dit Jésus, si mon Père n’a commencé par l’attirer.

Et, comment l’attire-t-il au Christ ? Par le désir. En lui communiquant un besoin intense de vérité, de beauté, d’amour, de pureté, et en lui montrant que le Christ est tout cela3.

L’acte essentiel de ce désir.

Quel sera le caractère essentiel de notre désir de justice ? Le même que pour le Christ ; ce sera la tendance profonde qu’il nommait la nourriture de son âme et qui nous apparaît comme la passion dominante de sa vie : le désir constant, inébranlable, d’accomplir coûte que coûte la volonté du Père, à Nazareth comme en Judée ou au Calvaire. Tel fut l’idéal du Sauveur, son programme de sainteté, sa manière à lui de concevoir la vie spirituelle. L’amour de Jésus envers son Père fut toujours éminemment pratique et solide : il consista dans les œuvres plus encore que dans les paroles :

Que placita sunt ei facio semper. — Je fais toujours ce qui lui plaît »4

Cette parole, nous semble-t-il, résume la vie intérieure du Christ Jésus, sa spiritualité. Nous la retrouverons dans l’Oraison dominicale.

Ainsi pour nous. La soif de justice nous affectionnera au devoir d’état, à la docilité envers le Saint-Esprit et à l’abandon entier entre les mains de Dieu. Dans le « perpétuel maintenant » qu’est la vie humaine, nous nous acharnerons au devoir présent, parce que c’est la manière pratique de faire de chacune de nos œuvres un acte d’amour. Quant aux croix qui nous viennent et que nous n’avons pas cherchées, nous les recevrons avec une filiale soumission des mains de notre Père du ciel, lui redisant avec Jésus :

Oui, Père, puisqu’il vous a plu ainsi.

Différentes formes du désir de justice.

Le vénérable Louis du Pont en distingue cinq :

La première consiste dans le désir d’accomplir tout ce qui est devoir de justice envers Dieu et envers le prochain, sans rien omettre, exécutant toutes choses fidèlement, même si elles sont monotones ou pénibles à la nature.

La seconde fait souhaiter de « disposer des ascensions en son cœur », à l’exemple de S. André Avellin ou de S. Jean Berchmans, et de monter de vertu en vertu. Dieu nous regarde alors avec une tendresse que nous ne soupçonnons pas :

Une seule âme, je ne dis point parfaite, mais aspirant à la perfection, dit un jour Notre-Seigneur à Ste-Thérèse, est plus précieuse à mes yeux que mille autres animées de sentiments vulgaires.

La troisième consiste à désirer avec ferveur le règne de la justice, c’est-à-dire du Christ, dans toutes les âmes. En même temps, il fait qu’on s’offre à la peine et aux travaux pour l’assurer.

La quatrième excite en nous un désir vif et affectueux de recevoir sacramentellement et spirituellement Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est notre justice et notre sanctification5, à soupirer après la Sainte Eucharistie et après l’eau vive de la grâce.

Cette disposition est nécessaire à quiconque veut devenir homme d’oraison, car il est difficile de prier longtemps, souvent et avec ferveur, lorsqu’on ne désire pas ardemment les biens célestes. Par contre n’oublions pas que le :

désir de Dieu est une très puissante et très constante prière, car Dieu lit les plus intimes pensées de nos cœurs.6

Ô Jésus, qui avez dit : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! » Voyez mon désir de cette soif bienheureuse que vous seul donnez et que vous seul apaisez. Apaisez-la et excitez-la tout ensemble, au banquet sacré de votre Chair et de votre Sang. Voici des années que je viens boire chaque matin aux sources de mon Sauveur, faites que j’y trouve enfin la joie de me sentir exaucé, et qu’en goûtant la suavité de votre Cœur très doux, je perde peu à peu l’estime des biens terrestres pour rechercher ceux du ciel.

La cinquième nous fait désirer avec une sainte impatience l’épanouissement de notre justice et son couronnement dans le ciel. Un tel désir est une forme de l’espérance ; il honore Dieu, parce qu’il lui dit équivalemment :

Seigneur, vous m’êtes plus précieux que tout ce que la terre peut m’offrir de meilleur. Rien au monde ne peut entrer en comparaison avec vous. — Quid mihi est in colo et à te quid volui super terram ?7

L’espérance, enfin, se double de charité parfaite lorsqu’elle fait aspirer après l’éternité par un motif d’amour :

Ce qui m’attire vers la patrie des cieux, disait Ste-Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est l’appel du Seigneur, c’est l’espoir de l’aimer enfin comme je l’ai désiré et la pensée que je pourrai le faire aimer d’une multitude d’âmes qui le béniront éternellement.

Beati… Quoniam ipsi saturabuntur

Ils seront rassasiés : c’est tout dire. La prière de leur cœur sera entendue. Après avoir ardemment désiré la charité, lien de la perfection, ils la posséderont.

Après avoir sollicité la venue du Saint-Esprit et la plénitude de ses dons, ils se verront exaucés ; après avoir longuement désiré l’union avec Dieu, ils l’auront, de la manière, dans le degré et au temps marqués par la Providence.

Ils seront rassasiés, et pourtant ils continueront à avoir soif,

non de cette soif fatigante et insatiable de ceux qui cherchent les plaisirs des sens,

mais de cette soif qui se désaltère et s’apaise tout en se renouvelant, parce qu’ils ont en eux la fontaine éternellement jaillissante. Ils auront toujours soif de la justice, mais, la bouche toujours attachée à la source qu’ils ont en eux-mêmes, leur soif ne les fatiguera et ne les affaiblira jamais.

Venez, âmes saintes, venez à Jésus : désirez, buvez, engloutissez ; ne craignez point que cette eau8 céleste vous manque : la fontaine est au-dessus de votre soif ; son abondance est plus grande que votre besoin : Fons vincit sitientem, disait S. Augustin »9

Seigneur Jésus, vous êtes notre médiateur auprès du Père ; (mais) puisque vous-même avez daigné constituer la Vierge (Marie), votre Mère, notre médiatrice auprès de vous, et notre mère aussi, daignez, dans votre bonté, faire que tous ceux qui viennent à vous pour implorer vos bienfaits se réjouissent de les obtenir par elle à coup sûr10. Donnez-nous donc, par elle, cette faim et cette soif de la justice que vous déclarez bienheureuses, donnez-nous quelque chose de votre dévotion pour la volonté du Père, et faites que nous ayons la joie de l’entendre dire, au jour où nous tomberons enfin dans ses bras :

C’est bien bon et fidèle serviteur, tu as agi fidèlement dans les petites choses, tu as vraiment réalisé le dessein que je formais sur toi, reçois la récompense éternelle que mon amour t’a préparée.

Ceux qui n’ont plus soif…

Il peut arriver que la soif de perfection diminue en nous, voire qu’elle cesse entièrement. Outre les raisons de tiédeur et de lâcheté, il y en a d’autres, plus dommageables que coupables, qui font abandonner les désirs de sainteté et d’union à Dieu. On y renonce :

Parce qu’on manque de foi dans la toute-puissance divine, qui peut « tirer d’une pierre un enfant d’Abraham » et faire de nous des saints.

Parce qu’on s’illusionne sur ce que Dieu exige pour le moment présent. Dieu n’est pas pressé et ne demande pas tout à la fois ; il agit suavement ; ce qu’il attend de nous à l’heure actuelle n’est pas forcément une chose difficile ; mais il veut que nous la donnions de grand cœur et avec amour. Peut-être, nous manque-t-il un bon directeur, qui nous apprenne à discerner les invitations présentes de l’Esprit-Saint.

Ainsi faut-il aux enfants un instituteur expérimenté pour leur apprendre à lire : s’il ne sait pas sérier les difficultés, s’il demande trop à la fois, l’élève perd courage.

Sachons apprécier, et sollicitons souvent la grâce de rencontrer le directeur qui nous fera avancer dans les voies de Dieu.

Parce que nous ignorons l’art précieux d’utiliser nos défauts. Nous garderons des défauts jusqu’au bout, sachons-nous le dire ; mais comprenons aussi qu’il nous est aisé d’en tirer parti et de les faire entrer dans le plan de Dieu11 : il suffit pour cela de nous en humilier sincèrement devant le Seigneur, de puiser dans leur constatation un nouveau motif d’indulgence envers le prochain, et de compenser par un accroissement de confiance dans la grâce divine ce que nous perdons en fait de confiance dans nos propres forces. Sans défauts, nous ne sentirions plus le besoin de prier, nous ne serions plus mis en demeure, vingt fois le jour, de faire effort et de nous vaincre ; nous n’aurions plus, après nos défaites, tant de belles occasions de nous humilier, et cela, même, serait pire que tous les défauts réunis.12

Méditons cette maxime profonde de S. Jean de la Croix :

Quand vous êtes en relations avec quelqu’un, ne le jugez pas au point de vue des vertus que vous voulez voir en lui ; pensez qu’il peut être très agréable à Dieu par des vertus qui ne vous préoccupent pas.

Appliquons cela à notre âme : tout en gardant certains défauts, elle peut devenir pour Notre-Seigneur un réel sujet de consolation par des vertus dont elle soupçonne à peine la haute valeur surnaturelle, quand ce ne serait que par une foi inconfusible aux promesses divines.

Seigneur, voici une âme qui est au monde pour exercer votre admirable miséricorde, et pour la faire éclater en présence du ciel et de la terre. Les autres vous glorifient en faisant voir quelle est la force de votre grâce, par leur fidélité et leur constance ; combien vous êtes doux et libéral envers ceux qui vous sont fidèles : pour moi, je vous glorifierai en faisant connaître combien vous êtes bon envers les pécheurs et que votre miséricorde est au-dessus de toute malice. Je crois, ô mon Dieu, que rien n’est capable d’épuiser votre indulgence, que rien n’est impossible à votre puissance, et que rien au monde ne doit porter une âme à désespérer de votre Cœur et de votre grâce. J’ai été médiocre, lâche et tiède à votre service ; j’ai pris plaisir au mal et j’ai multiplié mes offenses, mais je ne vous ferai pas cet outrage de croire que vous n’êtes ni assez bon pour me pardonner, ni assez puissant pour me transformer. « C’est en vain que votre ennemi et le mien me tend tous les jours de nouveaux pièges ; il me fera tout perdre plutôt que l’espérance que j’ai en votre miséricorde ; quand je serai retombé cent fois, et que mes crimes seraient cent fois plus horribles qu’ils ne sont, j’espérerai encore en vous.13


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p. 102-110.

  1. PS. 42, 2
  2. Dom Marmion a très bien vu que, dans la voie qui aboutit à l’union divine, il y a trois étapes, dont la première est un désir, non pas quelconque, mais constant et profond, de la perfection (Dom THIBAUT, L’union à Dieu d’après les Lettres de Dom Marmion, p. 65.)
  3. Relire, dans le bréviaire, au mercredi de la Pentecôte (1ère leçon) la splendide homélie de saint Augustin.
  4. Jean 8, 29
  5. I Cor. I, 30
  6. « Cette faim de Jésus et de son amour dont vous me parlez est une prière continuelle : Notre-Seigneur vous tient dans la sécheresse et la faim, écrivait Dom Marmion à une personne qu’il dirigeait, précisément pour faire naître ce désir qui lui plaît tellement. »
    (Lettres, pp. 125 et 128.)
  7. Ps. 73, 25.
  8. Jésus aimait à se servir de cette métaphore : « Celui qui boit de l’eau (de ce puits), disait-il à la Samaritaine, aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante pour la vie éternelle. » (Jean 4, 13 ; 7, 37.)
    L’Apocalypse fait écho à cette promesse : « Que celui qui a soif s’approche ! Que celui qui veut reçoive de l’ear de la vie gratuitement ! » Remarquons également que la liturgie applique à la Très Sainte Vierge un texte semblable tiré d’Isaïe : « Omnes sitientes, venite ad aquas…, O vous tous qui avez soif, venez aux eaux ; et vous qui n’avez pas d’argent, venez, manges ; venez, acheter sans argent, sans rien donner en échange, de vin et du lait. » (Messe de Notre-Dame Médiatrice univ., Epître.)
  9. Bossuet, Méditations, 5 jour
  10. Messe de Notre-Dame Médiatrice, Collecte.
  11. « Confiance absolue que, si je suis fidèle, la volonté de Dieu s’accomplira, non seulement malgré les obstacles, mais grâce aux obstacles. » (Ch. DE FOUCAULD, Ecrits, p. 177.)
  12. On retrouvera des pensées analogues dans les lettres de Dom Marmion, qui fut un grand prêcheur d’espérance
    (Dom Thibaut, o. c., pp. 132-136, 143, 154, etc…)
  13. D’après le Bienheureux Claude de la Colombière.

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