dimanche 28 avril 2024.

Conseils pratiques pour l’Oraison — 3. Distractions & Affections

Les distractions

Les distractions, viennent-elles nous importuner, nous rejeter sans cesse dans le tourbillon des préoccupations profanes, dans la pensée du mal peut-être, tranquillement, sans irritation, mais avec une obstination inlassable, nous reviendrons vers Dieu et vers l’objet de notre prière dès que nous nous serons aperçus de la distraction.

« Quand votre cœur s’égarera, écrivait S. François de Sales, ramenez-le tout doucement à son point ; remettez-le tendrement auprès de son maître ; et quand vous ne feriez autre chose que de reprendre tout bellement votre cœur, et de le remettre auprès de Notre-Seigneur, votre heure serait bien employée. »

Se reprendre de la sorte sera particulièrement fructueux, si l’on prend soin de s’unir au Cœur de Jésus, qui, lui, continue à prier en nous, surtout après la sainte communion.

Dans l’oraison, n’oublions jamais que nous sommes deux à implorer le Père céleste, car Jésus « demeure en nous, puisque nous demeurons dans son amour ». S. Augustin disait à son peuple, en parlant du Christ :

« Notre supplique s’élève vers Lui, par Lui et en Lui ; notre prière vocale se fait avec Lui et Il la fait avec nous ; nous prions ce psaume en Lui, et Il le prie en nous1 ».

Ces oraisons de sécheresse et de divagation, qui ne sont pas sans analogie avec la prière désolée de Jésus à Gethsémani — du moins lorsque le manque de recueillement ne vient pas de nos affections déréglées — seront agréées de Dieu comme un splendide hommage de notre bonne volonté ; souvent même, elles le toucheront davantage, bien qu’il ne le laisse point paraître, et nous seront autrement profitables que les pieux élans des jours de ferveur.

Loin de nous nuire, les distractions peuvent contribuer à notre progrès :

  • Si nous savons en tirer parti pour nous humilier devant Dieu, sincèrement et profondément : là où est notre trésor, là est notre cœur, a dit le Christ ; si, donc notre cœur se porte sans cesse vers des désirs profanes, vains, ou même que nous rougirions d’avouer, nous tirerons la conclusion que nous sommes bien peu avancés dans les choses spirituelles.
  • Si nous prenons doucement l’habitude, non seulement d’arrêter la distraction, mais de l’utiliser, en nous efforçant de trouver Dieu dans toutes les créatures et de considérer toutes les créatures en Dieu2, de comprendre qu’il n’y a point de pensée, si profane semble-t-elle, qui ne puisse alimenter notre désir de Dieu et notre oraison ; en tâchant d’apprendre petit à petit l’art des saints, celui de tourner toutes choses en prière3.

Nous ne savons parfois que dire à notre directeur spirituel : c’est là une matière d’entretien des plus pratiques.

Il est bon également de se rappeler cette vérité fort consolante : lorsque notre intention a été dirigée nettement vers Dieu au début de la prière, elle commande virtuellement toute cette prière, la rend méritoire et digne d’être exaucée tant qu’on n’annule pas ses effets par une distraction volontaire. Dieu connaît, en effet, l’instabilité de notre imagination et pardonne volontiers, à condition qu’on sache se ressaisir.

Cependant, il est manifeste, observe S. Thomas4, qu’une oraison distraite n’alimente pas la ferveur, et ne donne pas le même élan vers le bien.

Souvent, aux heures d’aridité, il sera très profitable de se servir d’un livre, comme sainte Thérèse5, de faire une lecture méditée, afin de secouer la torpeur et de trouver quelque bonne pensée :

« Très souvent et pendant des années, écrit cette sainte, j’étais plus occupée de voir la fin de l’heure que j’avais résolu de donner à l’oraison, plus attentive au son de l’horloge qu’à de pieuses consolations. Bien des fois, j’aurais préféré n’importe quelle pénitence, si sévère fût-elle, à l’effort qu’il me fallait faire pour entrer dans le recueillement de l’oraison… J’avais besoin, pour me vaincre, de rassembler mon courage, lequel, dit-on, n’est pas petit… À la fin, Dieu venait à mon aide, et quand j’avais ainsi fait effort sur moi-même, je goûtais plus de tranquillités, de consolations dans la prière, qu’à d’autres jours où j’avais été conduite par l’attrait6 ».

Les affections et les résolutions

Si les réflexions sur les pensées de la foi nous acheminent vers Dieu, il est manifeste que les actes de louange, d’action de grâces, d’adoration, d’admiration, de contrition et d’humilité, d’abandon, d’offrande de soi, de confiance et d’amour, actes qu’on est convenu d’appeler « affections », parce que la volonté doit s’appliquer, autant que possible, à les produire avec ferveur et avec goût, nous élèvent plus immédiatement et plus efficacement vers lui.

C’est à produire ces actes ou affections que doivent tendre, comme vers leur but principal, la méditation, la considération et tous les efforts de l’entendement qui se font dans l’oraison mentale.

La prière n’est-elle pas « une élévation vers Dieu de notre âme », qui s’unit à lui par des actes de connaissance et d’amour ?

Entre tous, il faut placer au premier rang les actes de foi, d’espérance et de charité, parce que ces trois vertus « théologales » font beaucoup mieux que nous élever vers Dieu : elles nous unissent directement à lui. Le principal avantage de l’oraison affective, c’est l’accroissement d’amour de Dieu, l’union plus intime et plus habituelle avec lui. « En augmentant la charité, l’oraison affective perfectionne par là même toutes les vertus qui en découlent :

la conformité à la volonté de Dieu :

— on est heureux de faire la volonté de celui qu’on aime ;

le désir de la gloire de Dieu et du salut des âmes :

— quand on aime, on ne peut s’empêcher de louer et de faire louer l’objet de son affection ;

l’amour du silence et du recueillement :

— on veut se trouver seul à seul avec celui qu’on aime, pour penser plus souvent à lui et lui redire son amour ;

le désir de la communion fréquente… ;

l’esprit de sacrifice :

On sait qu’on ne peut s’unir au divin Crucifié et, par lui, à Dieu lui-même, que dans la mesure où on renonce à soi et à ses aises, pour porter sa croix sans défaillir et accepter toutes les épreuves que nous envoie la Providence7 ».

Parmi les autres affections, nous mentionnerons spécialement l’admiration, parce qu’ « on ne connaît pas assez l’importance de ce sentiment. L’admiration, qui semble un arrêt, un repos, est au contraire une activité d’une puissance extrême ; elle opère un travail délicat, mais profond ; car ce que nous admirons imprime en nous sa forme, réveille nos attraits, suscite nos efforts et finit par nous former une mentalité en parfaite harmonie avec ce milieu supérieur, très pur, très beau et tout céleste8 » que nous fréquentons durant l’oraison.

L’admiration produit naturellement une sorte d’extase, c’est-à-dire qu’elle nous fait sortir de nous-mêmes, qu’elle tend à nous faire perdre de vue nos misères, nos ennuis, nos préoccupations charnelles, nos soucis mesquins d’amour-propre.

« Rien n’agrandit plus le cœur que ce sentiment désintéressé, vraiment généreux. Il a une force incroyable pour nous faire agir, parce que si nos admirations sont bien placées, elles nous persuaderont que nous pouvons imiter — de loin sans doute, mais réellement — ceux que nous admirons…

Admirons donc de bon cœur les saints, mais surtout la reine des saints et le maître des saints, Jésus et Marie9 ».

On appelle généralement affective l’oraison où ces actes tendent à prédominer, ce qui arrive lorsque l’âme, déjà familiarisée avec une vérité ou avec un mystère, laisse le travail de la réflexion, devenu inutile et sans attrait, pour passer tout de suite aux affections, et s’en occuper durant la majeure partie ou la totalité de l’oraison.

Quant aux résolutions à prendre, il est difficile de donner une règle absolue. Variés sont les états d’âme, nombreux sont les sujets de méditation et les manières de faire oraison : il en est qui appellent des résolutions très détaillées, visant les occupations du jour, avec les actes pratiques d’abnégation et de vertu qu’elles comportent ; il en est encore qui conduisent au même résultat par d’autres voies, qui visent simplement à unir l’âme à Notre-Seigneur et qui, en développant les vertus théologales, le désir de l’imiter, affectionnent à la charité, à la pureté, à la patience et en fin de compte font cueillir les mêmes fruits10.

C’est là, en dernière analyse, c’est à ces fruits de vertu et au courage apporté par la suite à se vaincre, qu’on discerne la valeur d’une oraison. Il faut donc apprendre à se connaître, à discerner l’appel personnel de la grâce, puis agir en conséquence, après avoir pris conseil de son directeur spirituel. Son rôle, pour une bonne part, est précisément de nous enseigner à faire oraison.

Enfin, n’oublions pas que, si l’examen de conscience est un genre d’oraison excellent, toute oraison n’est pas nécessairement un examen.

Les répétitions

Dans ses Exercices spirituels, S. Ignace fait volontiers répéter certaines méditations importantes, invitant le retraitant à revenir

« Sur les endroits où il aura senti plus de consolations, de désolations, de goût spirituel, et à s’y arrêter davantage ».

Et, dans la première répétition, S. Ignace propose jusqu’à trois colloques, soulignant ainsi le genre particulièrement affectif de cet exercice.

Il sera très utile, soit dans les retraites, soit lorsqu’on médite une matière plus riche, comme le péché, la Nativité, la Pentecôte, de s’essayer à la répétition, à condition de ne pas vouloir en faire une seconde méditation sur le même sujet, mais de réduire au contraire le travail de l’esprit pour donner libre cours aux affections et multiplier les colloques. Qu’au lieu de faire travailler l’esprit et de rechercher de nouvelles considérations, on reprenne donc tout simplement l’un ou l’autre des points qui ont impressionné l’âme davantage, qui lui ont procuré plus de lumière, de consolation, ou peut-être d’appréhension.

N’étant plus sollicité par la curiosité et par la recherche de pensées nouvelles, on pourra s’appliquer davantage aux affections intérieures de la volonté, graver davantage dans le cœur les sentiments et résolutions conçus précédemment, solliciter plus instamment la grâce en vue des sacrifices futurs, s’entretenir plus souvent et plus intimement avec Dieu, toutes choses qui concourent à perfectionner et à simplifier l’oraison.

Qu’on ne s’y trompe donc pas : si, au cours de cet ouvrage, nous présentons dans les « Répétitions » quelque développement nouveau, si nous reprenons sous une autre forme les pensées déjà suggérées, c’est dans le but de fournir une lecture spirituelle et d’occuper le temps destiné à préparer la méditation du lendemain. Lorsqu’un sentiment, un aspect quelconque du sujet a causé sur l’âme une vive impression, on trouvera personnellement un réel avantage à lui consacrer l’heure entière de la répétition ; ce sera sans doute moins agréable et moins intéressant, mais bien plus fructueux.

Prière du jour


Pour aller plus loin…


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome I, Conseils pratiques pour l’oraison — La Très Sainte Trinité — Les perfections divines — La Grâce — Les fins dernières”, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1938, p.17-24.

  1. Migne, P.L., 37, c. 1082.
  2. Telle est la doctrine du P. Surin (Lettre XLV, à Mme de Barière).
  3. Le 2e et le 3e point de la « Contemplation pour obtenir l’Amour divin », dans les Exercices de S. Ignace, y aideront beaucoup.
  4. (II, II, q. 83, a.13)
  5. « J’ai passé plus de quatorze ans sans pouvoir méditer si ce n’est en lisant, et il doit y avoir bien des personnes dans ce cas » (Ste Thérèse d’Avila, Chemin de la perfection, édition du Carmel de Paris., V, 134). Ce n’est que vers 1560, après vingt-cing ans de vie religieuse, que la sainte pourra écrire : « Dès que je prends un livre, j’entre dans un recueillement savoureux, en sorte que la lecture se change en oraison » (Ed. Carm., II, p. 4 et p. 202, Relation I).
  6. (Vie, ch. VIII)
  7. Tanquerey, Précis de Théologie ascétique…, 982°
  8. R.P. Venant, f.m.c., De la Méditation à la Contemplation, p. 53.
  9. P.L. de Grandmaison, Écrits spirituels, III, p. 241.
  10. « Il y a pas mal de livres de méditation qui ne pensent qu’à l’amendement ; c’est le moyen, pas la fin, qui est l’union d’amour » (P. RENÉ DE MÄUMIGNY)

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