lundi 29 avril 2024.
 

Beati qui persecutionem patiuntur…

Deus meus et omnia !

La grande béatitude

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! C’est la grande béatitude, celle-là, celle qui fait les saints1, qui les épure comme l’or dans le creuset, qui les empêche de se coller à la terre, de s’y plaire, de s’y établir, de s’y installer ; mais qui les détache, en les tenant toujours en éveil ; qui les surnaturalise en les faisant penser continuellement à Dieu, leur seul recours, leur seul protecteur, leur seul consolateur ; qui les divinise en les faisant ressembler à Jésus-Christ, leur modèle et leur Ami »2.

La huitième béatitude couronne les autres et les renferme toutes. Après les béatitudes qui consistent dans la perfection des œuvres, voici la béatitude qui consiste dans la perfection de la patience. Lorsque nous avons accompli notre travail, Dieu fait le sien et se sert des créatures pour nous sculpter3.

La persécution, en effet, soit qu’elle vienne des ennemis du Christ, hommes ou démons4, soit qu’elle vienne de nos proches ou même de nos frères5, a pour rôle providentiel de faire le vide dans notre vie : terre natale, parents, amis, tranquillité, honneur et biens, elle prend tout. Elle nous met en demeure de pratiquer sans cesse, et dans un haut degré, la pauvreté, la douceur et la miséricorde. Elle nous oblige à nous contenter de Dieu.

Elle nous fait redire, non plus des lèvres, mais du cœur et en vérité :

Deus meus et omnia

Mon Dieu et mon tout !

Ô Jésus, qui le premier avez voulu marcher par la voie des outrages et des persécutions, transformez mon cœur, je vous prie, par l’effusion de votre grâce, et faites que les épreuves, au lieu de m’abattre, me tournent vers vous et m’apprennent à placer en vous seul ma paix et mon bonheur.

Le royaume des cieux est à eux.

« Heureux êtes-vous, ajouta Jésus, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi ! Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux ».

Etrange béatitude, en vérité, que celle des calomnies et des persécutions. Nous n’y croyons guère qu’en théorie, par la fine pointe de l’esprit, et pour ne pas contredire ouvertement le Christ. Mettons la main sur notre conscience et répondons franchement : est-ce que notre cœur ne bouillonne pas dès qu’on touche injustement à notre réputation ? Est-ce que notre premier mouvement — et même aussi le second — n’est pas de repousser de toutes nos forces les injustices ? Malgré cela, on peut arriver à s’en réjouir, on peut arriver tout au moins à les supporter sans se plaindre ni s’irriter. On n’y arrive qu’à la suite de Jésus et les yeux fixés sur Jésus6.

Affligé, persécuté, calomnié, le Christ l’a été avant nous et bien plus que nous.

Et, cependant, il était heureux et parlait d’expérience quand il disait : Heureux les persécutés ! C’est qu’il possédait, comme nul être humain ne les possédera jamais, le royaume de Dieu, la paix de Dieu, la vue de Dieu. Ce royaume m’est offert à moi aussi. Il ne tient qu’à moi de le recevoir.

Plus je m’appliquerai à souffrir chrétiennement tout ce que le Père céleste me donne à souffrir, plus je « revêtirai le Christ » en imitant son abandon et sa patience, et plus aussi, je participerai au bonheur intime du divin Sauveur7.

Accordez-moi, Seigneur Jésus, de me revêtir des vertus de votre Sacré Cœur, afin que je retrace en moi, dans la mesure où vous m’y invitez, l’image de votre perfection et que je mérite d’avoir part à votre paix dans le temps et à votre béatitude dans l’éternité.

Conditions de la dernière béatitude

Deux conditions sont requises pour bénéficier de la promesse :

Souffrir avec patience, sans plaintes, sans aigreur, sans rechercher les consolations humaines. Nous n’y parviendrons que par l’esprit de foi, en nous appliquant à discerner la main de Dieu dans tous les événements, fussent-ils imputables à la méchanceté d’autrui. Dieu n’a pas voulu la malice de ce geste ou de cette parole blessante, c’est entendu. Il ne la voulait pas davantage quand les pharisiens calomniaient le Christ ; mais ce qu’il permet, ce qu’il veut formellement, ce qu’il fait entrer dans son plan divin, c’est la souffrance qui en résulte, qu’elle atteigne son Fils bien-aimé, Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou nous autres, les enfants d’adoption8.

Imitons saint Alphonse Rodriguez, qui eut beaucoup à souffrir pour la justice, et qui s’appliquait toujours, avec une foi admirable, à ne jamais regarder le calice sans considérer en même temps la main du Père qui le lui présentait.

La huitième béatitude est promise, à ceux qui se voient persécutés « pour la justice », et non à ceux dont l’humeur difficile récolte ce qu’elle a semé ; à ceux qu’on accuse faussement : « Cum dixerint malum… mentientes », et non à ceux qui provoquent les oppositions par leur tempérament hautain ou leurs façons de faire blessantes.

Lorsque quelqu’un vient nous dire qu’il est peu sensible aux persécutions du dehors, mais qu’il lui est très pénible d’avoir à supporter tel ou tel procédé injuste de la part de ses proches ou de ses frères, conseillons-lui doucement de s’examiner devant Dieu, et de rechercher s’il souffre uniquement « pour la justice », ou si au contraire, il n’aurait point provoqué ces contradictions par quelques défauts. En ce dernier cas, qu’il fasse des efforts pour se corriger, et il ne tardera pas à être aimé de Dieu et des hommes.

Ô Jésus, faites que je supporte mes peines avec tant de patience et de résignation, même lorsqu’elles résultent de défauts que je ne parviens pas à corriger, qu’elles deviennent en quelques manières des souffrances endurées pour la justice et me fassent mériter les mêmes récompenses.

Béatitude des martyrs

La huitième béatitude est celle des martyrs et des candidats au martyre. Il y en a eu de tout temps. Il y en a encore de nos jours. Il y en a au Mexique et en Russie, en Chine et en Afrique. Il y en a en Europe et il y en aura encore9.

Admirons-les, envions-les, invoquons-les, mais surtout, surtout redisons-nous que ce n’est pas en un jour qu’on acquiert le courage héroïque qui va au-devant de la prison, des outrages et des tortures.

Un tel courage vient du Saint-Esprit. Il est un don de sa grâce. Mais, ce don lui-même se mérite par la fidélité aux petits sacrifices. Ce serait une illusion de novice que d’ambitionner le martyre du sang tout en fuyant le martyre obscur du devoir d’état ou de l’observance religieuse10.


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p.126-131.

  1. A l’un de ses fils qui lui demandait un jour le moyen de faire des progrès rapides dans les voies de la sainteté, saint Ignace aurait répondu, avec le sourire qu’on imagine : « Supporter généreusement, pour le service de Dieu notre Seigneur, une grande épreuve, ou mieux encore deux grandes épreuves. »
  2. P. R. DE MAUMIGNY, Retraite.
  3. « Du tronc d’arbre le plus informe et le plus grossier, disait encore saint Ignace, une main habile peut tirer une statue merveilleuse, un chef-d’œuvre. Ainsi en est-il de beaucoup d’hommes qui méritent à peine le nom de chrétiens : ils pourraient arriver à une vraie sainteté, mais ce qui leur manque, c’est de se laisser travailler par la main du divin Artiste (De Franciosi, Esprit de Saint Ignace, ch. XX).
  4. S’il est exagéré de dénoncer partout l’action des démons, il faut se garder également de la tendance opposée, car l’Eglise — la liturgie nous le rappelle sans — croit à l’activité des esprits mauvais.
  5. Rappelons-nous l’épreuve terrible qui vint à Joseph par Marie et comprenons que les souffrances infligées par nos proches sont voulues par Dieu comme les autres. « Dites-vous, écrivait saint Jean de la Croix à un religieux, que vous êtes entré au couvent pour y être façonné comme une pierre qu’on taille… Avec cette idée, vous ne verrez en tous vos confrères que des ouvriers placés près de vous par Dieu pour vous tailler et vous perfectionner par la mortification » (Montée du Carmel II, p. 181, traduction Hoornaert).
  6. On méditera avec profit, dans l’office du dimanche de la Passion (II° Nocturne), les belles pensées de S. Léon.
  7. « La souffrance est une communion spirituelle permanente pour qui sait bien souffrir » (Le P. Olivaint à la Baronne d’Hooghvorst. Suau, la Mère Marie de Jésus, p. 338).
  8. Dieu, notre Père, ne l’oublions jamais, ne se complaît pas dans nos larmes. Son plan primitif ne les comportait pas. C’est le péché originel qui a tout changé.
    La rédemption, dans l’état de choses actuel, appelle la souffrance : à nous d’en faire une « bonne souffrance »
  9. On raconte d’un jésuite du XVIIIe siècle, le P. Cayron, qu’il saluait très humblement tous ses novices chaque fois qu’il les rencontrait — dût-il se découvrir vingt fois de suite, — en se disant intérieurement : Voici un futur apôtre du Christ, peut-être un martyr. Il ne se trompait pas : nombre d’entre eux, en effet, devaient être les victimes de leur dévouement à l’Église durant la Révolution française.
  10. « Un homme qui désire véritablement de souffrir beaucoup pour Jésus-Christ, est comme une personne affamée ou extrêmement altérée, laquelle, en attendant qu’il se présente de quoi se rassasier, prend cependant avidement le peu de nourriture ou de boisson qui se présente. » (Bienheureux Cl. de la Colombière, Retraite, 3e Semaine). C’est ce que fit le P. Charles de Foucauld, que nous avons souvent cité et dont on connaît la vie mortifiée. On sait dans quelles circonstances il fut tué. Or, après sa mort, on trouva écrite sur la première page du carnet qui ne le quittait jamais, cette devise qui en dit long : « Vivre comme si tu devais mourir martyr aujourd’hui » (Ecrits, p. 267).

Articles Récents

Suivez-nous !

Choix de la Rédaction

Catégories

Étiquettes