lundi 29 avril 2024.
 

Beati Pauperes.

Quid enim mihi est in cœlo ? et a te quid volui super terram ?1

Bienheureux les pauvres. — Bienheureux les humbles.

Bienheureux les pauvres en esprit, car c’est à eux qu’appartient le royaume des cieux. 

Les auteurs spirituels prennent généralement le mot « pauvre » au sens courant. Les exégètes, observant à la suite de S. Augustin que ce terme a dans l’Ancien Testament un sens particulier, le traduisent de préférence par « humble ». Notons seulement que, si la pauvreté n’est pas principalement visée ici, elle a été béatifiée ailleurs, et surtout, elle l’a été par toute la vie de Jésus.

La Pauvreté.

C’est la première béatitude, car la sainteté est impossible tant qu’on ne se résout pas à passer sur la terre comme un voyageur. Il y a trois sortes de pauvres que Jésus proclame bienheureux :

Pauvres de fait…

Les premiers sont les pauvres de fait, les indigents, comme le mendiant Lazare2, à condition toutefois qu’ils restent soumis à la volonté de Dieu, qu’ils se résignent à leur sort et ne se laissent pas aller à un désir immodéré des biens de la terre.

Car beaucoup de pauvres sont riches par le désir, par le cœur ; ceux-là ne jouissent pas de la première béatitude.

Les Apôtres n’étaient pas riches et n’abandonnaient pas grand-chose en quittant leurs filets, mais ils se dépouillèrent du désir d’avoir davantage, ce qui est un sacrifice considérable.

Quiconque désire est possédé, disait Jacopone de Todi ; il s’est vendu à ce qu’il aime.

Du point de vue évangélique, on est pauvre avant tout par le cœur, par les dispositions intérieures. Il n’en reste pas moins que Jésus-Christ a déclaré privilégiés ceux qui sont pauvres et en esprit et en fait.

Il leur a donné ses préférences. Il s’est rangé de leur côté dès sa naissance, gagnant son pain à la sueur de son front, vivant pauvrement avec des pêcheurs et mourant sur une croix.

Pauvres en esprit…

La seconde catégorie comprend ceux qui ne sont pas pauvres en fait, mais en esprit, ceux qui ont le cœur détaché des richesses, comme Zachée, le riche publicain.

C’est une illusion de croire qu’on est pauvre en esprit si jamais on ne se prive effectivement des satisfactions que donne l’argent, si on se porte avidement vers tous les plaisirs permis, si on n’introduit aucune gêne dans sa vie. Cette pauvreté « en esprit » ou détachement intérieur, Notre-Seigneur la présentera comme fondement de toute vie chrétienne :

Si quelqu’un ne renonce pas (au moins intérieurement) à tout ce qu’il possède, il ne peut pas être mon disciple3.

Pauvreté parfaite…

La troisième manière d’être pauvre, la plus parfaite, consiste à abandonner de fait tout ce qu’on possède, soit pour mieux assurer son salut, soit pour suivre pauvre le Christ pauvre. C’est beaucoup d’avoir accompli ce geste une fois. Mais, il n’y a là qu’un commencement. Ce qui compte, c’est de ne pas reprendre en détail ce qu’on a donné en gros, c’est d’observer les règles de la pauvreté, après vingt ans de vie religieuse, comme au noviciat.

Se dépouiller ainsi pour devenir semblable au Christ, c’est un acte de pur amour :

Seigneur Jésus, disait le Père de Foucauld, « je ne sais s’il est possible à certaines âmes de vous voir pauvre et de rester volontiers riches… ; je veux bien que ces âmes vous aiment, mais cependant je crois qu’il manque quelque chose à leur amour… et en tout cas, moi, je ne puis concevoir l’amour sans un besoin, un besoin impérieux de conformité et de ressemblance…

Etre riche, à mon aise, vivre doucement de mes biens, quand vous avez été pauvre, gêné, vivant péniblement d’un dur labeur, pour moi, je ne le puis ; mon Dieu, je ne puis aimer ainsi… 4»

L’humilité.

Pour les exégètes modernes, il est hors de doute que les « pauvres » béatifiés ici par le Christ sont les « gens humbles, modestes, résignés, dépendants de Dieu, dont les psaumes chantent les tribulations, les espérances, les prières. » 5

C’est d’ailleurs parmi les indigents qu’ils se recrutent tout naturellement.

Ce sont encore les opprimés, qui acceptent leur sort sans murmurer, tournent vers Dieu seul leur espérance et s’abandonnent à sa conduite. Ce sont les humbles, qui ont conscience de leur impuissance à satisfaire leurs aspirations vers le règne de Dieu et suivent en toute simplicité la voie d’enfance enseignée par le Christ6, qui se défient d’eux-mêmes et mettent leur espoir dans la grâce. De telles âmes, se voyant dénuées de tout bien spirituel, impuissantes et débiles comme les tout petits, s’en réjouissent parce que cette faiblesse avouée et exposée dans la prière, met à leur service la toute-puissance d’un Père7.

Bienheureux…

Heureux en espérance, ce qui est déjà beaucoup.

Espérer est une source de paix et de joie. On souffre tant lorsqu’on est tenté contre la foi et l’espérance. Il n’en reste pas moins que posséder est infiniment plus agréable. Les bonheurs de la terre ne sont que des ombres. Les réalités sont au ciel.

Et, pourquoi bienheureux ? Pour deux raisons :

1. Parce que leur cœur, étant détaché de la terre par la force des choses — et aussi par vertu, sans quoi ils ne seraient point pauvres « en esprit » — il leur reste assez de liberté pour penser à Dieu et à l’éternité.

Parce que leur condition les prépare à entrer pour ainsi dire de plain-pied dans le royaume des cieux. La Providence a écarté de leur route l’un des principaux obstacles, qui est la richesse, cause d’orgueil et de suffisance.

2. Parce que la pauvreté en esprit assure la paix et la joie spirituelle. Si nous ne considérons que le côté négatif de la pauvreté, tout en privations, il est clair qu’elle nous rebutera. Mais, c’est précisément le rôle de la foi, lorsqu’elle médite sur les paroles du Christ et sur les exemples des saints, d’illuminer l’autre côté, le côté brillant et désirable de la pauvreté.

Jésus n’a pas dit :

Bienheureux… parce que le royaume leur appartiendra,

il a parlé au présent :

Parce que le royaume leur appartient.

C’est que le royaume de Dieu, comme l’écrivait S. Paul aux Romains8, est la sainteté, la paix, la joie dans l’Esprit-Saint. Dès cette terre, il y a un bonheur spécial à être pauvre, dès cette terre, le vrai pauvre possède la joie spirituelle et une aptitude spéciale à acquérir la sainteté. Voilà pourquoi S. Ignace demande à ses fils de chérir la pauvreté comme une mère. Quant à S. François d’Assise, tout le monde sait combien sa joie était épanouie et contagieuse.

Qu’ils sont immenses, les biens du pauvre ! le pauvre qui n’a rien, qui n’aime rien sur la terre, a l’âme libre !… tout lui est égal : qu’on l’envoie ici, là, peu importe ! il n’a rien et ne veut rien nulle part… Il trouve partout Celui de qui seul, il attend tout, Dieu, qui lui donne toujours, s’il est fidèle, ce qui est le meilleur pour son âme… Comme il est libre ! comme son esprit est léger pour monter vers le ciel ! Comme rien n’alourdit ses ailes ! Comme ses pensées, dégagées de tous les liens terrestres, s’envolent pures vers le Ciel ! Comme la pensée des choses matérielles, petites et grandes (car les petites troublent autant que les grandes), le gênent peu dans sa prière, dans son oraison !… tout cela n’existe pas pour lui. »9

Une novice, un jour, disait à Ste-Thérèse de l’Enfant-Jésus son regret d’avoir prêté une épingle qui lui était très commode.

Oh ! que vous êtes riche ! lui fut-il répondu. Vous ne pouvez pas être heureuse.

Père céleste, donnez-moi le « sens du Christ ». Faites que j’aime ce qu’il a aimé, que j’embrasse ce qu’il a embrassé, que je méprise ce qu’il a méprisé. Et, vous, ô Jésus, qui savez ce qu’est le bonheur et qui pouvez le donner, faites que je le cherche, à votre exemple, là où il est.

Malheur à vous, Riches !

Malheur à vous, riches, car vous avez touché votre consolation !10

C’est un grand malheur que d’être satisfait, de ne manquer de rien, de ne pas sentir le besoin du surnaturel, de ne pas désirer le ciel, de ne pas songer à prier Dieu, de n’y être stimulé par rien, pas même par le souci du pain quotidien. Comme on dit mieux son Benedicite aux époques de chômage, de disette, durant une guerre !

Décidément, Dieu a intérêt à me voir indigent. Ou plutôt, ce sont mes vrais intérêts qu’il défend contre moi en me refusant quelquefois ma consolation. Il agit ainsi pour mon bien, pour m’obliger à penser à lui. Les Hébreux, jadis, lui ont fait prendre cette habitude :

Étaient-ils dans la détresse, ils criaient vers lahvé, et lahvé les sauvait de leurs angoisses11.

— mais si la prospérité durait un tant soit peu, alors ils tournaient le dos à lahvé et celui-ci devait leur envoyer de nouvelles afflictions pour les ramener à lui.

Ne permettez jamais, ô mon Dieu, que je m’installe, que j’y sois tout à fait bien. Rappelez-moi quelquefois par la gêne, rappelez-moi au besoin, l’épreuve et la souffrance, que ma patrie est le ciel, et ne laissez pas mon cœur se coller à la terre.


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p. 83-89.

  1. « Quel autre que toi ai-je au ciel ? Avec toi, je ne désire rien sur la terre. » Ps. 73, 25
  2. Luc 16, 20-26
  3. Luc 14, 33
  4. Ecrits, p. 106
  5. Lebreton, I, p.183
  6. « Si vous ne vous convertisses et ne devenez comme des enfants… » (Matt. 18, 3). Nous montrerons ailleurs, dans un autre Sujet, comment cette disposition favorise l’espérance. S’il faut en croire le Bienheureux de la Colombière, plus on vieillit et plus il y a avantage à la cultiver : « J’ai fait réflexion qu’au lieu de croître en vertu à mesure qu’on avance en âge, on décroît bien souvent et surtout en simplicité et en ferveur, à l’égard des humiliations extérieures et de la dépendance… » (Retraite spir., 2° semaine.)
  7. « L’humble sentiment de soi-même, qui porte à se regarder comme un serviteur inutile, est préférable aux jeûnes les plus austères, aux veilles les plus longues, à toutes les macérations corporelles.
    Ce sentiment est comme la vraie piété : il est utile à tout. » (Enseignements de SAINT BERNARD, P. 650.)
  8. S. Paul aux Romains XIV, 17
  9. Ch. de Foucauld, Ecrits, p. 107
  10. Luc 6, 24
  11. Ps. 107, 13

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