lundi 29 avril 2024.

Vos estis sal terræ. Le premier des apostolats.

Hoc in nostro resplendeat opere quod per fidem fulget in mente.

Que la splendeur de nos œuvres, ô mon Dieu, réponde aux clartés de notre foi !1

La parabole

« Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ?… Vous êtes la lumière du monde ;… on n’allume pas une lumière pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier pour qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. C’est ainsi que votre lumière doit luire devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux ».2

Pour qui ces paroles ?

« Le discours sur les béatitudes proposait le nouvel idéal chrétien ; il s’agit maintenant de le faire connaître dans le monde ; ce sera la tâche des apôtres…

Ils ont reçu la vérité, ils en sont comptables à tous les hommes ; désormais, ils sont le sel de la terre, la lumière du monde »3.

Ces paroles de Jésus visaient directement les apôtres et leurs successeurs. La liturgie les applique aux saints Docteurs, qui ont magnifiquement rempli la consigne du Christ. Il a suffi parfois d’un homme, docte et saint, pour préserver un pays entier de l’hérésie : ainsi Pierre Canisius fut vraiment le sel de la Bavière et de l’Autriche.

Par-delà les apôtres, Jésus s’adressait encore à tous les chrétiens, car tout fidèle a reçu, au jour de sa confirmation, une vocation apostolique, celle de l’exemple4. Le Père céleste lui a donné son Esprit, mais à charge d’édifier le prochain, d’être partout et toujours la bonne odeur du Christ.

L’apostolat de l’exemple incombe particulièrement aux éducateurs, aux religieux et aux prêtres, à tous ceux qui ont reçu mission pastorale ou qui se sont engagés à tendre vers la perfection. Quand S. Ignace, au chapitre VII de ses Constitutions, recommande à ses fils le zèle des âmes, c’est l’exemple qu’il met au premier rang parmi les facteurs d’apostolat5.

Les disciples du Christ reçoivent une double mission :

  1. celle de préserver, de purifier, de rendre savoureux, car telles sont les propriétés du sel ;
  2. celle d’éclairer et de porter au bien.

Vos estis sal terra6.

Le sel rend agréable ce qui, privé de condiment, serait insipide.

Ainsi font les saints et les âmes ferventes, à l’égard de Dieu et à l’égard des hommes. Ils rachètent nos médiocrités. C’est grâce à eux que Dieu prend goût au monde, au lieu de s’en détourner avec horreur comme à l’époque du déluge. Leur prière, telle jadis celle d’Abraham, préserve familles et cités des effets de la colère divine. Rôle obscur, mais efficace, des pénitences et des adorations réparatrices, Vos estis sal terræ.

Au monde menacé de corruption, les saints donnent le goût de Dieu, puisé dans l’oraison et l’abnégation.

  • Leurs généreux excès nous font rougir de notre mollesse.
  • Leur expérience prouve qu’il y a des délices insoupçonnées, bien que d’un ordre à part, dans la pénitence chrétienne, dans la prière et la réparation, dans le don de soi et la familiarité avec Dieu.

Essayez, semblent-ils nous dire, et vous verrez combien le Seigneur est suave.

Le sel combat la corruption et conserve.

Ainsi le chrétien dans le domaine surnaturel, lorsqu’il conforme sa vie aux leçons du Christ. La sainteté, en effet, préserve et purifie : de combien de saints n’a-t-on pas remarqué que leur seule vue portait au bien, qu’on eût rougi, en leur présence, d’une pensée moins pure ?

Privilège d’un Louis de Gonzague, d’un Jean Berchmans, d’un Benoît Labre.

La sainteté purifie.

Il y a une contagion du bien comme il y a une contagion du mal. Les pécheurs sentent l’attirance d’une vie pure, consacrée au devoir, embellie par la charité.

Relisons, entre mille, le témoignage du P. Ch. de Foucauld :

L’abbé Huvelin, sa famille, sa sœur surtout, contribuèrent à le ramener à Dieu par leur piété virile, leur tact et leur bonté.

Du coup, ils gagnaient à l’Église un apôtre incomparable et devenaient eux-mêmes le sel de la terre. Que de chrétiens l’ont été de cette façon, obscurément, mais efficacement ! Dans ma propre vie, certaines déterminations généreuses n’ont-elles pas été provoquées par l’exemple de tel ou tel, qui jamais ne s’en douta ?

Ô Saint-Esprit, Esprit de Jésus, c’est sur vous que je compte pour devenir la bonne odeur du Christ. Faites qu’au ciel, j’aie la joie de voir que l’ai marqué mon empreinte — ou plutôt celle de Jésus — sur d’autres hommes. Donnez-moi d’exercer une influence profonde, une influence qui tourne toujours à l’édification du Christ.

Vos estis lux mundi7

Vous êtes la lumière du monde…

La lumière du monde, c’est l’évangile parlé ; plus encore, c’est l’évangile vécu.

Votre lumière doit luire devant les hommes. Qu’ajoute Jésus ? « Afin qu’ils entendent vos beaux discours et glorifient Dieu ? » Non pas : « Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient le Père céleste. »

Plus que les paroles, en effet, les exemples sont une lumière. Les sermons instruisent une heure par semaine, et ne sont pas toujours compris ; les bons exemples éclairent sans cesse et demeurent à la portée de tous8; et lorsque la vertu est devenue assez habituelle pour s’épanouir dans la paix et la joie du Saint-Esprit, elle est deux fois conquérante, elle proclame que :

le joug du Seigneur est doux, et son fardeau léger.

  • Apostolat du sourire et de la bonne humeur.
  • Apostolat de la paix,
  • Apostolat de la joie ;
  • Apostolat des monastères et des noviciats.

Le film qui a rendu sensible dans les cinémas la paix rayonnante d’une Trappe a fait plus de bien que nombre de sermons.

Je ferai ici un examen et me demanderai si, dans mes relations avec le prochain, je mets assez de loyauté, de patience et d’affabilité pour l’attirer au Christ.

Seigneur Jésus, qui m’appelez à être la lumière du monde, vous savez combien j’ai à réaliser de progrès pour y parvenir. Si je devais exposer de bouche votre évangile, je rougirais d’y mêler la moindre hérésie. Mais, quand il s’agit de le traduire en actes, de « faire la vérité9 », comme vous disiez un jour à Nicodème, je me reproche beaucoup moins de le dénaturer. Transformez-moi, je vous prie, par votre grâce, afin que passe dans mes œuvres cette splendeur dont la foi illumine mon esprit10.

Quant à l’apôtre qui se dérobe à sa mission, il perd, aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes, ce qui faisait sa valeur et n’est plus bon qu’à être foulé aux pieds. Triste sort de ces apostats que mentionne l’histoire de l’Église, ou que nous rencontrons, hélas ! autour de nous. Ils étaient choisis entre beaucoup pour gagner les âmes au Christ, et les voilà passés sous l’étendard de Satan ! Ce n’est pas tout d’un coup qu’ils en sont venus là. L’amour du bien-être et du monde les avait secrètement reconquis, l’orgueil s’était réinstallé dans leur cœur.

Sans aller aussi loin, certains mènent une vie à peine féconde, parce qu’ils cachent, soit par négligence, soit par pusillanimité, la lumière de l’évangile. C’est un abus réel, chez l’apôtre, que d’enfouir les talents reçus, que d’affaiblir par des considérations humaines la force et la vérité du message divin. Pour être le sel de la terre, la lumière du monde, l’apôtre doit demeurer dans la sphère du surnaturel, le vivre intensément, garder et aiguiser en lui le « sens du Christ » en agissant constamment par des vues de foi11.

Après d’héroïques débuts et une moisson surnaturelle incomparable, Simon Rodriguez, provincial de Portugal et l’un des premiers compagnons de S. Ignace, donna l’exemple d’une vie moins mortifiée et se déroba peu à peu aux obligations du troisième vœu. Le scandale qu’il causa fut l’occasion de la fameuse lettre sur l’obéissance. Cent-vingt-sept incorrigibles durent être chassés d’un coup de la Compagnie naissante. Seule, l’immense charité d’Ignace épargna à Rodriguez le même sort. Celui-ci devait vivre encore vingt-cinq ans, inutile au prochain et insupportable à lui-même12.


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p.134-140.

  1. 2è Messe de Noël.
  2. Matt. V, 13-16
  3. Lebreton, I, p. 196
  4. Nombreux sont ceux qui doivent se dire, comme le P. de Foucauld : « Il entre dans ta vocation de crier l’Évangile sur les toits, non par ta parole, mais par ta vie… » (Écrits, p. 121)
  5. « Notre Compagnie a été instituée pour défendre et propager la foi, pour faire avancer les âmes dans la vie et la doctrine chrétiennes… Or, ce qui servira plus que tout le reste à atteindre ce résultat, ce sera le bon exemple d’une droiture sans défaillance et d’une vertu chrétienne.
    «  Les Nôtres, en conséquence, feront en sorte que leurs bonnes œuvres n’édifient pas moins — ou plutôt qu’elles édifient encore plus — que leur paroles, ceux avec qui ils entrent en relations » (Constitutiones S.J., VII, c. 2, n°2)
  6. « Vous êtes le sel de la terre. » Matt. V, 13.
  7. Matt. V, 14-16.
  8. Votre vie exemplaire, laissait entendre saint Paul à ses chers Thessaloniciens, est une prédication si efficaces que, grâces à vous, le foi se répand partout.
    Voir 1 Th. 1, 6-8 : « Et vous êtes devenus nos imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup de tribulations avec la joie de l’Esprit-Saint, au point de devenir un modèle pour tous ceux qui croient dans la Macédoine et dans l’Achaïe. »
  9. « Mais celui qui accompli la vérité, vient à la lumière, de sorte que ses œuvres soient manifestées parce qu’elles sont faites en Dieu. » Jean 3, 21.
  10. Liturgie de Noël.
  11. I Cor. 2,
  12. R.P. Dudon, s.j., Saint Ignace, pp. 465-466.

Textes à Méditer

Lectures Chrétiennes

Suivez-nous !

Choix de la Rédaction

Catégories

Étiquettes