lundi 29 avril 2024.

Quelqu’un m’a touché

Corps de Jésus, sauvez-moi ! Sang de Jésus, enivrez-moi ! Eau du côté de Jésus, lavez-moi !

L’hémorroisse.

Une grande multitude accompagnait Jésus et le pressait. Or, il y avait une femme affligée d’un flux de sang depuis douze années… Ayant entendu ce qu’on disait de Jésus, elle vint dans la foule, par derrière, et toucha son manteau. Car elle se disait :

« Si seulement je touche ses vêtements, je serai guérie.1 »

La pauvre infirme est vraiment digne de pitié. Elle connaît sa misère, condition essentielle pour désirer, demander et obtenir de Jésus la guérison ; condition deux fois nécessaire pour les maladies de l’âme. Si les pharisiens avaient reconnu leur orgueil, le grand obstacle à leur conversion eût disparu.

Malade depuis douze ans, l’hémorroisse a consulté nombre de médecins et dépensé tout son avoir sans résultat ; loin de s’en trouver mieux, elle va de mal en pis2. Reste une ressource, une seule : le recours au prophète dont on raconte tant de merveilles. Cette femme a une haute idée de Jésus, et de la « vertu » qui émane de Jésus.

Mais, comment faire pour en profiter ? Avouer publiquement son mal ?

Elle en a honte, et puis on la regarderait comme impure, peut-être comme coupable d’inconduite3. Voir Jésus seule à seul, impossible, tant la foule assiège le prophète.

Mais, au fait, est-il nécessaire que Jésus veuille la guérir ?

De son corps — elle en est convaincue — émane une force mystérieuse, qui se communique à ses habits eux-mêmes. Qu’elle parvienne seulement à toucher le bord du manteau, et c’est la guérison, c’est la santé ! Voilà ce que lui dit sa confiance, une confiance venue du ciel, une confiance semblable à celle qui conduit à Lourdes tant de malades, confiance toujours exaucée, quoique, le plus souvent, d’une manière spirituelle et supérieure aux prévisions humaines.

La femme s’approcha donc par derrière et toucha la houppe du manteau de Jésus. À l’instant son flux de sang s’arrêta4.

 « La vertu du Christ »

La « vertu »5du Christ ne s’est pas éteinte avec l’Ascension. Aujourd’hui encore, soit du tabernacle, où il réside corporellement, soit du ciel, où il siège à la droite du Père, Jésus exerce un « influx » merveilleux, et cela, de trois manières :

Influence du Christ dans la Communion sacramentelle.

Dans la Communion sacramentelle, le Corps du Christ nourrit l’âme à la manière d’un aliment et « l’engraisse6 » en lui donnant joie, force, élan dans l’amour. N’est-ce pas cette vertu de l’aliment céleste qui faisait courir la jeune vierge Agnès vers le lieu de son martyre et lui mettait sur les lèvres ces paroles enflammées :

« J’aime le Christ, et c’est sa chambre nuptiale que je veux partager… Quand je l’aime, je suis chaste. Quand je le touche, je suis pure. Quand je l’embrasse, je suis vierge7. »

Il sera bon, quand je m’approcherai de la sainte Table, de penser à la vertu qui émane du Corps adorable de notre Sauveur, et de confesser mes misères, afin de m’en voir délivrer :

Seigneur, touchez mon palais, et je serai guéri de mon intempérance et de ma sensualité.

Touchez ma langue, et arrêtez désormais les paroles vaines ou malfaisantes.

Touchez ma poitrine surtout et rendez la santé à mon cœur, près duquel vous daignez reposer. Purifiez-le, puisqu’il est le principe de ma vie morale8; préservez-le des pensées mauvaises, réprimez en lui tout mouvement de rancune, apaisez ses élans d’orgueil et de colère.

Enfin, Seigneur, ne vous contentez pas, je vous prie, de cet attouchement passager, mais daignez demeurer en moi par votre grâce, afin qu’à mon tour, je demeure en vous par la foi, par la confiance et par l’amour.

Influence du Christ sur quiconque le touche par le désir de l’Eucharistie.

Jésus exerce encore un influx merveilleux dans la communion spirituelle. Aucune distance, aucune barrière ne fait obstacle à la vertu du Christ lorsqu’il veut se communiquer directement à une âme, comme il arrive chaque fois qu’il découvre en cette âme un désir véhément de s’unir à lui par l’Eucharistie9.

Un tel désir agit irrésistiblement sur le Cœur de Jésus et l’attire vers nous. Il lui ouvre en même temps la porte de notre âme et réalise la promesse de l’Apocalypse :

« Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai… je souperai avec lui et lui avec moi »10.

Image ravissante de l’intimité et de l’amitié parfaites.

Influence du Christ sur quiconque le touche par la foi.

Le divin Sauveur exerce également son influence sur l’âme qui le touche spirituellement par la foi11. Il sent alors comme une « vertu qui s’échappe de lui ».

Recueillons ici l’enseignement particulier de ce mystère, celui que Jésus a voulu faire entendre à tous, aux assistants et aux fidèles à venir, en interrogeant l’hémorroïsse et en manifestant publiquement le motif de la guérison :

Fides tua te salvam fecit ; ma fille, votre foi vous a guérie.

Voilà donc la grande, l’éternelle leçon que le Christ ne cesse de donner : c’est la foi qui importe ; bien plus que le contact physique ; c’est la foi qui arrache au Tout puissant ses miracles ; c’est la foi qui ébauche l’union avec Dieu.

Le Christ, en effet, n’est pas seulement notre modèle, l’exemplaire vivant de toute perfection. Il en est encore la cause méritoire, il en est l’auteur. Son Corps, ses puissances, ses actions constituent pour nous une source de grâce12. En pratiquant les différentes vertus, Jésus nous a mérité la grâce de pouvoir les reproduire, et

« chacun de ses mystères contient une grâce spéciale dont il veut nous donner une véritable participation… Nous ne pensons pas assez, écrit dom Marmion, à ce pouvoir de sanctification que possède l’Humanité du Christ, même en dehors des sacrements.13 »

Les saints y pensaient, nous en avons pour preuve les pieuses aspirations de l’Anima Christi, si chères à S. Ignace.

Fides tua ta salvam fecit

Relisons les Evangiles, et représentons-nous la scène.

Lorsque la malade se sentit guérie, elle ressentit dans son cœur une joie délirante, bientôt suivie d’une anxiété qui la glaça. Jésus, qui connaît, même de science humaine, tout ce qui se rapporte à sa dignité et à sa mission de Sauveur, comprit qu’une force était sortie de lui14. Promenant sur la foule un regard scrutateur, comme s’il cherchait un coupable, il demanda :

« Qui a touché mes vêtements ? La foule vous presse de tous côtés, répondirent les disciples, et vous demandez : Qui m’a touché ? » Il y eut un instant de silence ; Jésus restait immobile, attendant l’aveu.

Alors la femme, effrayée et tremblante, vint se jeter à ses pieds et raconta tout ce qui était arrivé15

Nous comprenons à présent pourquoi Jésus, si discret et si délicat, voulait absolument imposer à la miraculée l’aveu qui lui coûtait tant, et que d’ailleurs lui-même facilitait intérieurement par la grâce. Il désirait cet aveu, moins pour l’acte d’humilité, pourtant très salutaire, qu’il comportait, que pour notre utilité à nous, pour avoir l’occasion de livrer un enseignement précieux :

Ma fille, c’est votre foi qui vous a sauvée. Allez en paix et soyez guérie de votre infirmité.

Ô joie sans mélange, joie plus complète encore qu’au premier instant de la guérison. Au bienfait de la guérison corporelle, le Sauveur, dans sa bonté, en ajoute un second, qui procure à l’âme autant de bien-être que la santé en donne au corps : la paix de Dieu, paix ineffable et passant toute conception, paix qui naît de l’amitié divine et qui permet d’en jouir.

Et tout cela, ces grâces magnifiques — nous ne pouvons trop y insister — sont dues à un désir, à une espérance, à un geste excité par la foi.

Seigneur Jésus, présent en ce tabernacle, où je vous adore, présent dans ma poitrine au moment de la sainte Communion, vous n’êtes pas moins puissant qu’au jour où vous avez guéri l’hémorroisse. Vous n’êtes pas moins bon. Que donnerez-vous à mon âme, qui croit en vous et vous implore ?

L’hémorroisse voyait votre humanité, sinon votre divinité.

L’une et l’autre, à l’autel, restent voilées pour moi, et pourtant, c’est vous, ô Jésus, que je reconnais dans l’hostie.

Je vous adore dévotement, ô Dieu caché…

Donnez-moi la foi en vous, toujours plus de foi !


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III, « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p.176-182.

  1. Marc, V, 24-28
  2. « Alors une femme, atteinte d’une perte de sang depuis douze ans, qui avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, et qui avait dépensé tout son bien, et n’en avait eprouvé aucun soulagement, mais s’en trouvait encore plus mal » (Marc V, 25-26)
  3. Préjugé courant alors chez les Juifs (Prat. I, 356)
  4. «… s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement ; et aussitôt sa perte de sang s’arrêta » (Luc VIII, 44)
  5. « J’ai senti qu’une vertu est sortie de moi », dira bientôt Jésus (Luc VIII, 46)
  6. Parfois même Dieu permet que le corps y trouve lui aussi un soulagement. Que de malades ont trouvé un renouveau de forces, voire la guérison, au contact de la sainte Hostie ! Citons, entre beaucoup sainte Catherine de Sienne, saint Stanislas Kostka, sainte Marguerite-Marie.
    Dans l’âme, la Sainte Communion produit deux choses : elle augmente d’une part le capital de grâce et intensifie le courant de vie divine ; de l’autre elle excite la ferveur en actualisant en quelque sorte la vertu de charité, en donnant le besoin d’agir pour la gloire de Dieu et de se dépenser à son service.
  7. (21 janvier, 3° nocturne)
  8. « Car c’est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les fornications, les homicides, les vols, l’avarice, les méchancetés, la fraude, les impudicités, l’œil mauvaise le blasphème, l’orgueil, la folie. Tous ces maux sortent du dedans, et souillent l’homme. » (Marc VII, 21-23)
  9. (Sans cesse malade et retenue dans sa cellule, sainte Gertrude était souvent privée du bonheur de communier…
    Un matin, tandis que le chapelain distribuait aux Sœurs le Pain sacré, elle vit Notre-Seigneur, qui, « de ses mains saintes et vénérables », présentait à chacune son Eucharistie. Et elle-même reçut dans ce moment une bénédiction spéciale, délicieuse, tellement que, transportée d’admiration, elle s’écria : « Ô mon Dieu, vous opérez en moi des merveilles si extraordinaires et si nombreuses ! Est-il possible que mes compagnes, par leur communion, aient obtenu plus que moi ? » Jésus daigna alors lui répondre et lui donner l’intelligence de cette vérité : lorsque l’obéissance ou la discrétion retiennent une personne loin de la table de communion, si toutefois elle brûle du désir de posséder son Dieu, elle se trouve enrichie d’une grâce semblable à celle qui suit la manducation des Espèces consacrées ; mais un tel prodige s’accomplit d’une façon mystérieuse, incompréhensible pour l’esprit humain (DOLAN, Sainte Gertrude, pp. 74-75).
  10. Ce texte a été pris pour Introît dans la messe de saint Alphonse Rodriguez, dont on connaît l’admirable familiarité avec Notre-Seigneur et avec sa sainte Mère.
  11. « L’Humanité du Christ, dit saint Thomas, est cause instrumentale de la justification, cause qui nous est appliquée spirituellement par la foi, corporellement par les sacrements, parce que l’Humanité du Christ est esprit et corps » (De Veritate, Q. 27, a. 4, in corpore)
  12. Il va sans dire que c’est à la Personne du Sauveur que va en définitive notre culte, quand nous vénérons la Face adorable du Christ, ses Mains « vénérables » ou sa Volonté sainte.
  13. Le Christ Vie de l’âme, pp. 89, 91.
  14. (Marc V, 30)
  15. Marc V, 33

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