vendredi 26 avril 2024.

Principes et fondements qui doit régler l’usage de notre liberté

Seigneur, détourne mes yeux pour qu’ils ne voient point la vanité.

Fais-moi vivre dans ta voie 1!

Fin et Moyens

« L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre seigneur, et par ce moyen sauver son âme.

Et, les autres choses qui se trouvent sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider à obtenir la fin de sa création.

D’où il suit que l’homme doit faire usage des créatures dans la mesure où elles l’aident à atteindre sa fin, et qu’il doit s’en abstenir dans la mesure où elles lui font obstacle.

C’est pourquoi il est nécessaire que nous nous mettions dans l’indifférence2 à l’égard de toutes les choses créées,

— autant que cela est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu, en sorte que, de notre part, nous ne voulions pas la santé plutôt que la maladie, la richesse plutôt que la pauvreté, l’honneur plutôt que les mépris, une longue vie plutôt qu’une courte, et ainsi de tout le reste, désirant et choisissons uniquement les choses qui nous conduisent mieux à la fin pour laquelle nous sommes créés »3.

Nous avons médité sur la fin de l’homme et son absolue nécessitée, sur le « salut » que Dieu nous offre.

Tout homme qui jouit de son bon sens comprends du premier coup que seule la fin doit être aimée et recherchée pour elle-même :

• la fin atteinte, tout est sauf ;

• la fin manquée, tout est perdu.

Mais, la fin est lointaine, et ce qui me frappe dans les créatures que je rencontre sur mon chemin, personnes, objets, événements, c’est le respect agréable ou désagréable.

Avec une logique impitoyable, saint Ignace met les choses au point et tire une conclusion, gênante pour l’égoïsme, mais qui nous établit en pleine lumière. Toute créature, sinon en elle-même, au moins dans ses relations avec moi, est moyen, par conséquent ne doit être aimé et rechercher que pour la fin.

Il importe au suprême degré de ne jamais m’asservir à des moyens, mais de les dominer, si je veux en rester maître et ne pas me laisser emporter par eux dans une direction opposée à ma fin.

Attitudes pratique à adopter

Quiconque veut sincèrement sauver son âme prendra donc de résolution :

Celle de ne jamais se décider à la légère dans une question grave et intéressant sérieusement le salut,

— comme le choix d’un état de vie ou l’abandon de celui auquel Dieu nous a appelés, mais de peser auparavant les conséquences de ce choix et ses rapports avec « l’unique chose nécessaire ».

Bien plus, il s’abstiendra de toute décision, surtout si elle doit l’engager irrévocablement, tant qu’il ne sera point parvenu à s’établir dans l’indifférence « de volonté », la seule qui soit possible et nécessaire. Sans cette indifférence, un choix serait vicié d’avance : il faudrait le recommencer.

Cette indifférence est difficile !

Sans doute, mais il existe un moyen merveilleusement efficace d’y parvenir, la retraite fermée selon la méthode de saint-Ignace, qui a composé précisément les « Exercices Spirituels » pour faire arriver « l’homme à se vaincre et à régler sa vie, sans se déterminer par aucune affection désordonnée. »

Vivre Constamment selon les principes du « Fondement » suppose un haut degré de sainteté !

— Et qui sait si, pour moi, la sainteté n’est pas le moyen providentiel, le seul moyen peut-être de sauver mon âme ?

Se mettre un temps dans l’indifférence,

— assez pour faire un bon choix, est moins difficile : une bonne retraite y suffit. Remarquons que, s’il est fort utile de s’être rendu indifférent dès le début des Exercices, une seule chose est absolument nécessaire : posséder l’indifférence de volonté au moment de l’élection.

Quiconque veut sérieusement sauver son âme prendra encore la résolution de s’assurer habituellement assez d’indifférence et de maîtrise de soi,

— de régler suffisamment l’équilibre profond de son cœur, pour respecter, dans l’usage quotidien et continuel de sa liberté, l’ordre des moyens et de la fin.

L’exact équilibre est-il possible, en sorte que l’on ne penche ni d’un côté, ni de l’autre ?

En pratique, non : autant essayer de faire tenir une chaise sur un pied.

De deux choses l’une en effet :

• où l’amour de Dieu l’emportera,

• ou l’amour-propre prendra le dessus.

Dans le premier cas, on aura atteint l’indifférence en la dépassant, dans le second, on restera en deçà. À l’état habituel, l’indifférence n’est pas une vertu particulière, d’allure un peu stoïcienne, mais la résultante des grandes vertus de foi, d’espérance et de charité4.

Elle accompagne ce que l’on est convenu d’appeler la ferveur, l’esprit surnaturel, la conformité à la volonté de Dieu.

« D’aucun, à dit saint-Vincent de Paul, se sont proposé l’indifférence en tout et ont pensé que la perfection consistait à ne rien désirer, ni rien rejeter de tout ce que Dieu envoie… D’autres se sont proposé d’agir avec pureté d’intention… L’exercice de faire toujours la volonté de Dieu est plus excellent que tout cela, car il comprend l’indifférence et la pureté d’intention et toutes les autres manières pratiquées est conseillées ; et s’il y a quelque autre exercice qui mène à la perfection, il se trouvera éminemment en celui-ci »5.

Le même amour de la volonté divine agit, en effet, différemment selon que cette volonté est manifestée, ou ne l’est pas encore ; dans le premier cas, il engendre l’obéissance et l’abandon, dans le second, l’indifférence.

Saint Ignace avait atteint cette indifférence habituelle, issu d’une parfaite conformité, au point de ne désirer que l’accomplissement du bon désir divin, et d’être prêt à abandonner avec sérénité, si Dieu le voulez, l’œuvre de sa vie, « la Compagnie de Jésus ».

Saint-François d’Assise possédait cette indifférence, lui dont le Christ avait tellement ravi le cœur que tout le reste importe peu, et qu’il pouvait dire avec vérité :

Mon Dieu est mon tout !

L’un des plus magnifiques exemples d’indifférence est celui de saint Isaac Jogues, pionnier des Iroquois, torturé par eux et réduit en esclavage. Un jour un capitaine de vaisseau hollandais, ému de temps de souffrance, lui offre de le cacher sur son avis et de le ramener en Europe. Mais, qu’elle n’est pas sa stupéfaction à la réponse du missionnaire : Jogues, bien loin d’accepter avec empressement la fin de son martyr, demande une nuit de prière et de réflexion, afin de peser le pour et le contre, et d’examiner s’il ne se rendrait pas plus utile aux âmes de ses compagnons de captivité, et même aussi de ses bourreaux, en demeurant prisonnier.

De cette indifférence, saint-Bernard a donné une définition splendide :

« Montrez-moi un homme qui aime Dieu de tout son cœur et qui le préfère à toute autre chose, qui aime son prochain en Dieu et ses ennemis eux-mêmes…, qui use de ce monde comme n’en usant pas, qui distingue par une sorte de tact intérieur les objets dont il peut jouir et ce dont il ne peut pas…, montrez-moi un tel homme, et je n’hésiterai pas à le proclamer sage… car il peut dire : Dieu a organisé en moi la charité ! »6.

Tel fut, plus que tout autre, l’admirable mère de Jésus.

Ô très pur et Très Sainte Vierge Marie,
vous qui, sans la moindre défaillance,
avez aimé Dieu dans toute créature et toute créature en Dieu,
parce que votre cœur, tabernacle de l’Esprit-Saint, ne prenait conseil que de Lui,
daignez m’obtenir par votre admirable fidélité à la grâce,
de vivre à mon tour selon le cœur de Dieu
et de ne chercher que Lui en toute chose !


Lectures pour nourrir vos méditations…

  • “Imitation de Jésus-Christ”Livre III “De la Vie Intérieure”, 9. Qu’il faut rapporter tout à Dieu comme notre fin dernière.
  • “Imitation de Jésus-Christ”Livre III “De la Vie Intérieure”, 26. De la liberté du cœur, qui s’acquiert plutôt par la prière que par la lecture. En particulier les points 3 & 4.
  • Messe comme au dimanche précédent ou messe de la mémoire.

Notes & Références

  1. Ps. CXIX, 37
  2. On pourrait traduire aussi bien, de manière moins classiques mais plus élégantes : « que nous gardions notre cœur libre à l’égard… »
  3. Exerc. Sp. Fondement
  4. « La force de mon indifférence sera à la force de mon amour. Si mon âme est tendue de toutes ses forces vers Dieu, qui pourra retenir ou faire dévier son élan dès l’apparition de Dieu ? L’indifférence qui s’échafaude sur des raisonnements partiels et successifs est une indifférence d’occasion, un peu factice et branlante ; mais la pousser vigoureuse et absolue vers Dieu dépasse d’un coup tous les raisonnements et dispense l’âme de s’y attarder »
    (P. Al. Hanrion, o.c., p. 142)
  5. Œuvres, XII, p. 152.
  6. Migne, P.L., 183, 1024

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