lundi 29 avril 2024.

La tempête apaisée

Exsurge, quare obdormis, Domine…, et régime nos propter nomen tu 1!

La parabole

Un jour, sur le soir, Jésus dit (à ses disciples) :

« Passons de l’autre côté du lac. » Et ils gagnèrent le large. Jésus cependant s’endormit à la poupe, sur un coussin. Or il s’éleva un tourbillon de vent impétueux qui poussait les flots contre la barque, en sorte que déjà elle faisait eau. S’étant donc approchés, ils le réveillèrent en disant : « Maître, Maître, nous périssons ! » Et il leur dit : « Pourquoi avez-vous peur, (gens) de peu de foi ? 2»

Ipse verso dormiebat. — Il dormait de corps.

« Dormiebat corpore, vigilabat deitate », dit Origène : il dormait de corps, mais veillait par sa divinité.

Jésus n’a pas perdu l’habitude de dormir : cela lui arrive encore tous les jours, au grand scandale des âmes où la foi est petite, l’espérance faible et engourdie. Nous voudrions palper à tout moment l’action divine, faute de quoi nous perdons confiance ; tel Abner se décourageant devant le triomphe d’Athalie, tels les disciples d’Emmaüs, qui trouvaient trop long d’attendre deux jours le miracle de la résurrection.

Tout se passe, il est vrai, à certaines heures, comme si Dieu n’existait pas, à tout le moins comme s’il se désintéressait de ses créatures, comme s’il abandonnait à eux-mêmes le monde et les âmes. Tantôt c’est une épreuve, une persécution, une souffrance, qui met notre patience à bout ; tantôt une tentation qui nous obsède ; on a beau la repousser, elle revient à la charge ; on prie de tout son cœur afin qu’elle s’éloigne, et rien ne change ; tantôt c’est le scandale du monde et de son triomphe apparent sur le Christ et sur l’Eglise.

Dormit Christus corpore, vigilat deitate3.

Au fond, remarque avec finesse S. Augustin, c’est plutôt nous qui dormons, c’est notre foi qui est assoupie : Jésus dort dans notre cœur lorsque notre foi languit. Réveillons-le, comme firent les disciples, en priant ; réveillons-le en faisant oraison, et nos craintes s’évanouiront, et tout ira mieux dans notre vie spirituelle4.

Et quelle sera donc cette influence de l’oraison ?

Elle nous rappellera que le royaume du Christ n’est pas de ce monde, que la seule chose qui compte, la seule qui importe à Jésus, c’est d’amener les siens jusqu’au ciel, près de lui, à la place qu’il leur a préparée. Avant d’en arriver là, il faut de toute nécessité porter sa croix chaque jour, à la suite de Jésus, et passer par beaucoup de tribulations5.

L’oraison nous dira encore que Dieu mesure l’épreuve à notre faiblesse, que tentations et ennemis de l’extérieur ne sont jamais à craindre quand l’âme s’est revêtue de l’armure spirituelle : cuirasse de (l’amour divin), bouclier de la foi, glaive de l’esprit, lequel n’est autre que la méditation des Ecritures accompagnée de prière6.

Bien que le sommeil de Jésus ne soit qu’apparent, aimons à redire, aux heures de trouble et d’affliction, les beaux versets du psalmiste ; et si nous sommes dans la paix, implorons le secours de Dieu pour les chrétiens, nos frères, qui sont actuellement persécutés :

« Exsurge, quare obdormis, Domine… Réveillez-vous, Seigneur ! Pourquoi dormez-vous ? Réveillez-vous et ne nous repoussez pas à jamais…

« C’est à cause de vous qu’on nous égorge tous les jours et qu’on nous traite comme des brebis à tuer…

« Pourquoi nous cacher votre visage et oublier notre misère et nos malheurs ?…

Levez-vous pour nous secourir et sauvez-nous au nom de votre bonté7.

Leçon de patience et de zèle.

« Magister, non ad te pertinet quia perimus ? » fait dire S. Marc aux disciples8. On ne forcerait guère la note en traduisant : « Maître, est-ce que cela vous est égal de nous voir périr ? »

Prière sincère s’il en est, mais qui, en des circonstances moins tragiques, friserait l’impertinence. Jésus nous apprend ici à ne pas nous montrer susceptibles.

Pour nous, en toutes choses, ce qui nous intéresse, ce que nous relevons d’abord, c’est ce qui nous touche personnellement. Le reste nous paraît secondaire.

Il en va autrement pour Jésus. Excusant ses apôtres affolés, il fait semblant de ne pas remarquer l’inconvenance des paroles et ne retient qu’une chose : le manque de foi qu’elles trahissent. Le bien des âmes, voilà ce qui préoccupe Notre-Seigneur. Combien, à sa place, auraient commencé par donner une leçon de politesse !

Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre ; chassez-en l’amour-propre et la susceptibilité. Aidez-moi également à rester maître de moi et à modérer mon langage, même quand ma patience est mise à l’épreuve.

Ubi est fides vestra ? — Où est votre foi ?

« Quid timidi estis, modico fidei »9.

Nous voici au centre du mystère : « Pourquoi avez-vous peur, (gens) de peu de foi ? »

Jésus fait un grief à ses disciples de leur crainte, causée elle-même par l’insuffisance — ou la torpeur10 — de leur foi et de leur espérance11.

La tempête ?

C’est lui-même qui l’a permise, qui l’a déclenchée même, si on considère sa divinité. Il voulait donner aux siens une leçon de choses sur la Providence, leur faire entendre que, même endormi, il connaissait leurs périls et qu’il pouvait leur venir en aide durant son sommeil.

Il y a donc des craintes qui constituent un défaut, un sérieux défaut, puisqu’elles motivent pareil reproche : ce sont les craintes qui découlent de l’incrédulité pratique12 dans le dogme de la Providence. Jésus veille sur son Eglise, figurée par la barque, et ne permettra jamais aux puissances du mal de prévaloir contre elle. Il veille aussi, de tout son amour et de toute sa sagesse, sur chacun de ceux qui ont pris place dans la nacelle.

Par le baptême, par l’obéissance aux préceptes du Sauveur, peut-être même par la vie religieuse, nous avons lié notre sort à celui du Christ, nous avons pris son idéal et jusqu’à son nom (« chrétiens »… « compagnons de Jésus ») ; nous nous sommes ainsi placés tout près de lui, beaucoup plus près que si nous étions montés jadis dans la même embarcation, en compagnie des apôtres.

Dès lors, que Jésus veille ou qu’il semble dormir, il y a une chose certaine, c’est qu’il pense particulièrement à nous, les membres de son corps mystique. Si, comme Dieu, il « garde et gouverne par sa Providence tout ce qu’il a créé, atteignant tout, du commencement à la fin, avec force, et disposant tout avec suavité »13, il accorde, comme homme, une attention particulière à « ceux que le Père lui a donnés ».

Providence de Jésus, je crois en vous. 
Providence de Jésus, j'espère en vous. 
Providence de Jésus, inspirée par le Cœur de Jésus, je m'abandonne à vous.

Je me souviendrai de l’attitude de notre divin Sauveur au Calvaire, lorsqu’il se trouva à son tour sur le point de « périr ». De même que ses disciples, il prie, mais comme sa prière rend un son différent !

Père, je remets mon esprit entre vos mains.

D’un côté le trouble et la terreur. De l’autre la paix, la sécurité, l’abandon le plus filial.

Ô Jésus, qui m’avez mérité par vos souffrances l’adoption divine, faites-moi envers le Père un cœur de fils, un cœur où règnent l’abandon et la paix des enfants14.

Le miracle — stupeur des témoins.

Jésus, s’étant réveillé, gourmanda le vent et dit à la mer : « Tais-toi, silence ! » Et le vent s’apaisa et il se fit un grand calme… Et ils furent saisis d’une grande crainte, et ils se disaient l’un à l’autre : « Quel est donc celui-ci, que le vent et la mer lui obéissent.15 »

Le miracle est subit, inouï, en sorte que les témoins restent stupéfaits. Leur surprise prouve combien l’idée qu’ils se font de Jésus est encore imparfaite. Il faudra du temps avant que Thomas tombe à genoux devant le Christ et lui donne bien haut son vrai titre :

Dominus meus et Deus meus. – Mon Seigneur et mon Dieu !

Adoro te devote, latens Deitas !… Je vous adore dévotement, ô Dieu caché… Mon cœur se soumet à vous entièrement, Car en vous contemplant il se sent défaillir tout entier… Augmentez sans cesse ma foi en vous, Augmentez mon espérance, augmentez mon amour!


Lectures pour nourrir vos méditations


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome III,  « Temps après la Pentecôte » — Vie Publique de Jésus — Enseignements et Miracles, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1940, p. 159-165.

  1. « Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ?
    Réveille-toi, et ne nous repousse pas à jamais !
    Pourquoi caches-tu ta face,
    oublies-tu notre misère et notre oppression ?
    Car notre âme est affaissée jusqu’à la poussière,
    notre corps est attaché à la terre.
    Lève-toi pour nous secourir,
    délivre-nous à cause de ta bonté ! » Ps. XLIV, 24-27.
  2. La tempête apaisée :
    Matt. VIII, 23-36 ;
    Marc IV, 35-38 ;
    Luc VIII, 22-24.
  3. « Le Christ dort dans le corps, il veille dans la divinité. »
  4. « Au temps de la désolation, dit saint Ignace, il est très avantageux de s’adonner davantage à la prière et à la méditation » (R. 6 du discernement…)
  5. « … fortifiant l’esprit des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et disant que c’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu » Act. XIV, 21
  6. « Au reste, frères, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans sa vertu toute-puissante. Revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux embûches du diable. Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans l’air. C’est pourquoi prenez l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux jours mauvais, et après avoir tout surmonté, rester debout. Soyez donc fermes, les reins ceints de la vérité, revêtus de la cuirasse de justice, et les sandales aux pieds, prêts à annoncer l’évangile de paix. Et surtout, prenez le bouclier de la foi, par lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin. Prenez aussi le casque du salut, et le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu »Ephésiens VI, 10-17 ;
    Cf Épître du XXIè dimanche après la Pentecôte.
  7. Psaume XLIV 23, 24, 25, 27. Souvenons-nous, lorsque nous prions au moyen des psaumes, que les versets que nous récitons ont envi jadis des milliers de fois à Jésus, Marie et Joseph. Ils n’avaient guère que les psaumes comme prière vocale ; le « Notre Père » était encore enfermé dans le Cœur de Jésus, et Gabriel était presque seul à connaître le début de la Salutation angélique. Mais aussi quelle piété, quelle ardeur de dévotion, quelle intensité de désir ils mettaient dans certains versets particulièrement expressifs !
  8. Lui cependant était à la poupe, dormant sur le coussin ; ils le réveillèrent et lui dirent : « Maître, n’avez-vous point de souci que nous périssions ? »Marc IV, 38.
  9. Jésus leur dit : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? »Alors il se leva, commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme (Matt VIII, 26)
  10. Dans saint Luc, le Sauveur dit : « Où est votre foi ? » (Lc VIII, 25)
  11. Ici, comme en maint endroit, le terme fides signifie l’un et l’autre.
  12. Elle ne s’allie que trop souvent avec la croyance théorique, laquelle ne suffit pas, puisque la foi nous est donnée en vue des œuvres.
  13. Concile du Vatican, Cf. Denzinger, n° 1784.
  14. Si nous demeurons secs, nous dirons avec le P. Alexis Hanrion : « Cœur Sacré de Jésus, j’ai confiance en vous. Je ne sais que dire que cela, mais cela suffit, n’est-ce pas, pour vous faire plaisir. » (Journal, p. 164)
  15. Marc IV, 39-40.

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