dimanche 28 avril 2024.
 

Justification de Carême

Le but de la pénitence, de la mortification, c’est de délivrer l’âme, de lui rendre sa dignité, sa liberté, sa noblesse, perdues par la chute première ; c’est de lui remettre le sceptre à la main et de lui dire :

Souviens-toi que tu es reine, en ce monde, que tu dois dominer la matière et n’être soumise qu’à Dieu seul.

Alors, suivant le beau mot de l’Écriture, l’homme n’est que légèrement inférieur aux anges.

Les adversaires de la loi de l’Église, nous diront, quelques-uns avec mauvaise foi, un plus grand nombre, avec une déplorable légèreté, que c’est l’esprit qui vivifie, que la vraie pénitence doit atteindre la volonté, corriger les mauvaises habitudes, mais que cette loi de l’abstinence est une guerre injuste, déclaré à nos organes, et qu’elle attaque les droits de la nature.

Oui, sans doute, la pénitence, qui se bornerait à des privations extérieures, ne constituerait pas une véritable pénitence. La pénitence consiste essentiellement dans ce jeûne des âmes que saint Léon nomme le jeûne spirituel ; cependant, ce serait se tromper étrangement et ne point connaître la nature humaine que de n’attacher aucune importance à la mortification corporelle. L’homme est composé de corps et d’âme, et en vertu des lois qui unissent ces deux substances pour en former la personnalité humaine, et aussi par une triste conséquence de cette loi incontestable du monde déchu, et que l’Apôtre appelle la loi des membres, il arrive que tout ce qui est désordre dans le corps atteint par contrecoup inné, vote inévitablement les plus hautes régions de notre nature immatérielle, que tout ce qui touche à la nourriture, au traitement plus ou moins délicat ou sévère de notre corps, est nuisible ou utile à notre âme. Demander donc de grandes et nobles pensées, de la charité, du dévouement à ces hommes idolâtres de leur corps, passionnés, pour les jouissances de la table, qui, suivant l’énergique expression de Saint-Paul, ont leur ventre pour Dieu…1

Voyez, au contraire, nos Sœurs de charité, nos Apôtres, qu’est-ce qui les soutient dans leur vie de labeurs, de privations, de dangers et de martyres ?

  • La foi, voilà le premier aliment de leur générosité ;
  • la virginité, voilà le second ;
  • l’amour de la mortification corporelle, voilà le troisième et le principal.

Le jour où la chair viendrait dans leurs affections, à l’emporter sur l’esprit, le jour où la délicatesse de la nature détrônerait en ses âmes la sainte austérité de la pénitence, on les verrait abandonner leur héroïque ministère avec tout cet appareil d’épreuves et de souffrances qui l’accompagnent.

Nous ajoutons que, loin d’être attentatoire à nos organes, l’abstinence du Carême n’est qu’un moyen de les affermir et de leur rendre un peu de cette vigueur qu’ils possédaient dans l’état d’innocence.

« N'allez pas calomnier, dit saint Grégoire-de-Nysse, en prétendant que le Carême est une cause de maladies, c’est bien plutôt un principe de santé… L’abstinence, continue-t-il, avec une science d’observation, qui n’a rien à envier à celle du physiologiste, l’abstinence n’est pas moins utile au corps qu’à l’âme. Elle rend plus léger le fardeau matériel que porte l’âme, extenuat materiæ crassitiem, molem corporem destruit ; par elle la tête devient calme, la respiration réglée, et sans agitation, la parole claire et nette, l’âme libre et sereine, le sommeil facile et léger ;… en un mot, l’abstinence est un principe commun d’harmonie pour l’âme et pour le corps, et une raison de tranquillité dans l’existence. »2

Et ce vrai langage de la science et de la foi est confirmé par l’expérience : les médecins les plus compétents et qui ne veulent pas flatter les passions, reconnaissent que la cause première de la plupart des maladies se trouvent dans le mépris habituel des règles de la tempérance et de la mortification chrétiennes ; ils soutiennent aussi que l’abstinence des viandes pendant l’époque du carême, est une pratique très saine, parce qu’à ce moment de l’année, la chair des animaux, sous l’action du printemps, contient des éléments insalubres ; et c’est ce qui a fait dire au célèbre docteur Planque :

Si le Carême n’était pas d’institution religieuse, il devrait être d’institution médicale.

Aussi, dans la liturgie catholique, chantons-nous au commencement du Carême, que le jeûne a été établi d’une manière très salutaire pour le bien du corps et de l’âme : Jejunium quod animabus corporibusque salubriter institutum est.

Ce n’est point de la nourriture qui souille l’homme, disent encore les adversaires des institutions de l’Église.

Il est vrai, la nourriture en elle-même ne souille pas l’homme ; ce qui le souille, c’est la désobéissance à l’Église, laquelle a le droit de nous commander au nom de Jésus-Christ ; ce qui souille l’homme, c’est cet esprit de sensualité, qui ne veut rien se refuser, et qui, incapable de s’imposer un léger sacrifice, cherche à couvrir sa faiblesse d’un spécieux sophisme. L’Église, cette grande institutrice de l’humanité, l’Église qui connaît à fond notre nature, sait parfaitement, on nous prescrivant des privations matérielles, que toute abstinence dans une sage mesure, atteignant l’homme intérieur, est un principe d’énergie et de progrès moral.

Tel est, au point de vue de la foi, le sens de la mortification chrétienne, et ne serait-ce pas le lieu de rappeler et d’appliquer à cette institution de l’Église cette parole d’un grand philosophe chrétien, de Maistre :

Il n’y a point de dogme dans l’Église catholique, il n’y a pas même d’usage général, appartenant à la haute discipline, qui n’est ses racines dans les dernières profondeurs de la nature humaine ?

L’Abbé L.


Lectures pour nourrir vos méditations

Pourquoi la Pénitence ?

Épître de saint Paul aux Romains, chapitre 16.

Épître de saint Paul aux Philippiens, chapitre 3.


Articles connexes

Un carême au désert avec les Pères (1/7) : le jeûne, par Arnaud de Beauchef.

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Un carême au désert avec les Pères (7/7) : Vers la vraie gloire, par Arnaud de Beauchef.


Messe du Jour

Mardi de la Passion

mémoire de Saint-Jean de Capistran, confesseur.


Notes & Références

Semaine Religieuse de Bayeux, 1865.

  1. « Vous aussi, frères, soyez mes imitateurs, et ayez les yeux sur ceux qui marchent suivant le modèle que vous avez en nous. Car il en est plusieurs qui marchent en ennemis de La Croix du Christ : je vous en ai souvent parlé, et j’en parle maintenant encore avec larmes. Leur fin, c’est la perdition, eux qui font leur Dieu de leur ventre, et mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte, n’ayant de goût que pour les choses de la terre. Pour nous, notre cité est dans les cieux, d’où nous attendons aussi comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux, par sa vertu puissante qui lui assujettit toutes choses. » Ph 3, 17-21
    « Je vous exhorte, mes frères, à prendre garde à ceux qui causent les divisions et les scandales, en s’écartant de l’enseignement que vous avez reçu ; éloignez-vous d’eux. Car de tels hommes ne servent point le Christ Notre-Seigneur, mais leur propre ventre, et avec leurs paroles douces et leur langage flatteur, ils séduisent les cœurs simples. Car votre obéissance est arrivée aux oreilles de tous ; je me réjouis donc à votre sujet ; mais je désire que vous soyez prudents pour le bien et simple pour le mal.» Rm. 16, 17-19
  2. Saint Grégoire-de-Nysse,  Orat in Jejun.

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