lundi 29 avril 2024.

Conseils pratiques pour l’Oraison — 5. Colloques et sécheresse

Les Colloques.

Il ne faut pas craindre, lorsque la grâce y porte, de commencer très vite les « colloques » ou entretiens avec Dieu, et de les prolonger au cours de la méditation.

« Plus j’avance dans la vie, se plaisait à répéter Mgr de Ségur, plus je m’aperçois que l’oraison doit être principalement un colloque avec Notre-Seigneur. »

Gardons-nous d’imiter ceux que reprend sainte Thérèse parce qu’ils font travailler leur esprit tout le temps de l’oraison : on dirait vraiment « Qu’il ne doive y avoir pour eux ni dimanche, ni un seul instant exempt de travail ; sans quoi ils s’imaginent aussitôt qu’ils perdent leur temps. Pour moi, je regarde cette perte de temps comme un gain très précieux. Qu’ils se tiennent donc en présence de Notre-Seigneur, sans fatiguer leur entendement ; qu’ils lui parlent et mettent toute leur joie à se trouver avec lui. »

« Il ne faut pas, écrit encore la sainte, au même chapitre1 de sa vie, se fatiguer sans relâche à creuser son sujet, il faut aussi se tenir auprès de Notre-Seigneur dans le silence de l’entendement. L’âme tâchera de se pénétrer de la pensée qu’il la regarde ; elle lui tiendra compagnie, lui parlera, lui adressera des demandes ; elle s’humiliera à ses pieds… elle se reconnaîtra indigne de demeurer en sa présence. Si elle peut en venir là, même dès le début de l’oraison, elle en tirera grand profit ».

Il convient donc, même lorsque l’oraison est plus discursive qu’affective et se passe pour une bonne part en réflexion, de se réserver toujours un temps largement suffisant pour le ou les « colloques » pour s’entretenir avec Dieu, selon les circonstances, comme un ami avec son ami, un malade avec son médecin, un pauvre avec le riche qu’il implore, un fils avec son père, un disciple avec son maître, et même, si la confiance et l’amour nous en inspirent la hardiesse, comme une épouse avec son époux, à la manière du Cantique des cantiques.

Saint François de Sales, au témoignage de sainte Chantal, suggérait la même attitude :

« L’essence de l’oraison mentale, disait notre Bx Père, consiste proprement à parler à nous-mêmes et avec Dieu, le louant et bénissant à cause de ce qu’il est, lui parlant comme un enfant à son père, un disciple à son maître, un vassal à son roi, un pauvre à un riche, un criminel à son juge, une épouse à son époux, enfin comme à notre fidèle ami ; comme un ignorant qui demeure dans un humble silence, ne sachant parler, mendiant à la porte de la cour céleste les trésors divins. »

« Prier, écrit ailleurs sainte Chantal, c’est élever l’esprit à Dieu et lui communiquer toutes ses affaires familièrement, deviser de toutes choses, tant hautes que basses… ; lui ouvrir son cœur et le répandre en lui sans qu’il y demeure rien dedans2 ».

Le grand modèle, ici comme partout, c’est encore Notre-Seigneur lui-même.

Quoi de plus vrai et de plus émouvant, de plus simple et de plus ardent que les paroles jaillies des lèvres et du cœur de Jésus tandis qu’il agonisait sur sa croix ?

• Observons les saints et voyons avec quelle simplicité ils s’adressaient à Dieu.
• Relisons la prière d’Abraham, celle de Moïse, celle de Mardochée3.
• Ecoutons les enseignements du saint Curé d’Ars :

« La foi, disait-il, c’est parler à Dieu comme à un homme ».

Cette parole, à elle seule, vaut un traité sur la prière.

Lorsqu’on s’habitue à en agir ainsi, on acquiert peu à peu une admirable familiarité avec Dieu, qui est la source de bien des grâces.

« Souvent, confiait un jour à des prêtres le P. Adolphe Petit, l’apôtre des retraites fermées, je me trouve en face d’affaires compliquées et de telle nature qu’il m’est impossible de demander conseil à qui que ce soit. Dans ce cas, j’attends avec impatience l’heure de l’oraison. Je prends pour sujet l’affaire même qui me préoccupe ; je parle à Notre-Seigneur et à la Sainte Vierge comme si je les voyais ; je leur expose ma difficulté, leur soumettant la décision que je me propose de prendre. Toujours, à la fin de l’oraison, je sais ce que je dois faire, et souvent, c’est tout l’opposé de ce que j’avais d’abord résolu seul.

« Parfois, le samedi, j’interroge la Sainte Vierge pour savoir si j’ai bien passé la semaine : « Ma bonne Mère, êtes-vous contente de moi ?… » Elle me répond toujours. Je ne dis pas que je l’entends, mais je sais bien, je sens bien ce qu’elle pense, et les reproches qu’elle me fait quelquefois. Elle me montre sur ma table des lettres auxquelles j’ai négligé de répondre, et elle m’ordonne de le faire au plus tôt. Car c’est une bonne mère, mais qui ne gâte pas ses enfants. Prenons, ajoutait-il, l’habitude de cette bonne simplicité… Nous ne sommes pas assez simples dans notre piété4 ».

Il arrivera d’ordinaire, même si nous nous efforçons d’agir familièrement avec lui, que Dieu semble rester muet. Sa manière de répondre, comme tout ce qui relève de l’ordre surnaturel, garde quelque chose de mystérieux ; elle consiste dans la bénédiction intérieure de sa grâce ou dans l’augmentation d’une vertu, réalités dont nous n’avons pas directement conscience. Parfois cependant l’Esprit-Saint répond en suggérant une pensée pieuse ou en inspirant une bonne œuvre.

Il va sans dire que nous pouvons faire des colloques :
• soit avec notre âme elle-même, à l’exemple de David5, et de l’enfant prodigue6
• soit avec un saint ou avec notre Ange Gardien,
• soit enfin avec la Très Sainte Vierge, lui rappelant qu’elle est notre Mère et notre avocate, et que c’est son propre désir, plus encore que le nôtre, de voir son divin Fils aimé et glorifié par tous les hommes.

La sécheresse

De même que les distractions troublent le travail de la réflexion, il arrivera fréquemment qu’une sécheresse persistante vienne paralyser l’élan de notre cœur ou l’activité de notre esprit, que nos entretiens avec Dieu languissent, et que, nos désirs, une fois exprimés, notre âme se retrouve inerte et aride. Il sera bon alors de rechercher, en temps opportun, si cela ne vient pas de ce que notre désir de Dieu et des biens divins n’est pas assez vif, de ce que nous n’avons guère souci, dans le courant de la journée, du recueillement et du silence, qui permettent de rester « aux écoutes » du côté du ciel7.

Lorsque la sécheresse persiste, en dépit d’une réelle bonne volonté, nous nous souviendrons de la belle définition de la prière donnée par saint Augustin, et faisant un acte de foi dans la présence de Dieu qui nous regarde, nous pourrons nous essayer à pratiquer, au moins durant quelques instants, l’oraison du désir profond et muet, l’oraison de Zachée tout occupé à guetter le passage de Jésus, l’oraison de mendicité et d’attente du psaume 123ᵉ8.

Qu’est-ce que le Kyrie eleison, si souvent, si longuement répété à la messe solennelle, sinon la prière type du mendiant, du mendiant pleinement conscient de sa misère et qui se trouve devant un riche ?…

« Tous, quand nous prions, déclare saint Augustin, nous sommes des mendiants de Dieu, nous nous tenons à la porte du vrai Père de famille… nous supplions en gémissant, dans le désir de recevoir quelque chose : et ce quelque chose, c’est Dieu !9 ».

Désirer, attendre, gémir en présence de Dieu, n’est-ce pas le fond même de la prière ? Le mendiant est-il moins éloquent lorsqu’il tend la main en silence et nous regarde d’un œil suppliant, que lorsqu’il clame sa misère ?

« Pas de flux de paroles dans notre oraison, mais qu’il y ait une prière intense, jaillissant d’un désir brûlant et persévérant. Beaucoup parler, c’est exposer des nécessités réelles à l’aide de mots inutiles. Beaucoup prier, c’est frapper longuement, par les pieux élans de notre cœur, (à la porte) de celui que nous sollicitons. La plupart du temps, c’est là affaire de gémissements plus encore que de discours, affaire de larmes plus que de paroles10 ».

Faire oraison, disait à son tour saint Vincent de Paul, c’est « se tenir doucement devant Dieu et lui montrer ses besoins, sans autre application d’esprit, comme un pauvre qui découvre ses ulcères et qui, par ce moyen, excite plus puissamment les passants à lui faire du bien que s’il se rompait la tête à force de leur persuader sa nécessité11 ».

Rappelons-nous enfin que nous allons à l’oraison :

faire la volonté de Dieu…

pour faire la volonté de Dieu, pour le louer et le glorifier, quand ce ne serait qu’en montant la garde aux portes de son palais, en conservant devant lui une attitude parfaitement respectueuse.

dans la fidélité…

que c’est par notre fidélité en de tels moments que nous montrons à Dieu notre amour désintéressé — les vrais amis sont ceux des jours de deuil et de souffrance — et que nous méritons le don de l’oraison ;

avec une simple prière…

qu’une prière très simple, du genre le plus humble, qu’une pauvre invocation jaculatoire redite de temps à autre, inlassablement, peut devenir alors autrement agréable à Dieu et plus méritoire que de longues et savoureuses oraisons.

« Sil vous arrive de n’avoir pas de goût ni de consolation en la méditation, écrivait S. François de Sales à une personne qui passait par cette épreuve classique, je vous conjure de ne point vous troubler. Mais, quelquefois, ouvrez la porte aux prières vocales, lamentez-vous à Notre-Seigneur, baisez son image, si vous l’avez, dites-lui ces paroles de Jacob : « Je ne vous laisserai point, Seigneur, que vous ne m’ayez béni. »

Il arrivera que, malgré nos efforts, notre prière nous semblera bien misérable et indigne d’être agréée de Dieu. Ce sera alors le cas de nous souvenir de l’avis très profond de saint Jean de la Croix :

« La perfection ne consiste pas dans les vertus que l’âme se plaît à trouver en elle, mais dans celles que le regard du Seigneur y découvre12 ».

Il est des personnes pour lesquelles le temps de l’oraison semble devenir le rendez-vous des tentations et pensées mauvaises. Ce serait une grossière illusion de céder et de quitter la prière pour une autre occupation, même excellente. Il faut « tenir » à tout prix ; la récompense des efforts pourra se faire attendre, elle grandira d’autant.

La Providence permet que d’autres âmes demeurent, en dépit de leur générosité, dans la sécheresse, et en viennent même parfois à éprouver un véritable dégoût pour l’oraison. Que ces âmes se consolent en sachant que, par leur simple persévérance et leur fidélité à un exercice apparemment inutile, elles donnent beaucoup à Dieu.

en écoutant…

Il se pourrait aussi — la remarque vaut surtout pour ceux qui pratiquent depuis longtemps l’oraison mentale — que Dieu ait quelque chose à nous dire, qu’il nous invite à parler un peu moins et à écouter un peu plus, à nous tenir quelquefois en paix devant Notre-Seigneur, pour le laisser agir en nous, pour qu’il nous communique ses sentiments et ses volontés, pour qu’il redresse ce qui est défectueux et s’empare suavement de nos puissances afin de les gouverner à son gré.

en imitant Jésus-Christ

Enfin, il sera utile à tous de relire quelquefois le conseil d’or que donnait naguère à l’un de ses frères un religieux mort en odeur de sainteté :

« Tu sais ce que dit l’Imitation, quand on est dans la désolation, l’impuissance de prier, il faut s’adonner aux plus humbles offices de la charité. C’est un recours que nous avons toujours. Le bon Dieu se dérobe à nous dans la prière ? Eh bien ! nous saurons le trouver dans la charité13 ».

Saint Grégoire avait donné jadis la même leçon à propos des deux disciples d’Emmaüs : le Dieu qu’ils n’avaient pas reconnu lorsqu’il leur expliquait les Ecritures, ils le reconnaissent à la fraction du pain.

Ce n’est donc pas en écoutant les préceptes divins qu’ils reçurent la lumière, mais en les pratiquant, en faisant un acte de charité, en offrant à l’étranger l’hospitalité :

Audiendo illuminati non sunt ; faciendo illuminati sunt14.

L’action du Saint-Esprit et notre coopération

Le plus ou moins de facilité et de consolation que nous trouverons à prier, à nous entretenir avec Dieu, dépend surtout, il faut le redire, de l’Esprit-Saint qui supplie pour nous15 — et en nous — avec des gémissements ineffables, dont les mouvements nous excitent et nous enseignent à prier, réglant nos supplications et nous inspirant les sentiments qui conviennent.

Il n’en reste pas moins vrai que, de notre côté, nous devons faire tout ce qui dépend de nous pour apprendre à converser avec Dieu ;

nous devons modeler notre prière sur celles que nous trouvons exprimées dans les livres Saints surtout dans les Evangiles16 ;
imiter la manière dont l’Église, en sa liturgie, s’adresse à son divin Époux,
• ou même encore observer la façon dont les hommes traitent entre eux, dont les petits enfants implorent leurs parents ;
nous rappeler enfin que c’est là affaire de foi, de cœur et de simplicité beaucoup plus que d’intelligence et de raisonnement.

Suarez fait sur les méthodes d’oraison et sur l’action vivante de l’Esprit une remarque pleine de sagesse :

« Sans doute, écrit-il, le principal auteur du progrès spirituel et de son exercice capital (l’oraison) est l’Esprit-Saint… ; mais loin d’exclure notre coopération et notre préparation, il la requiert plutôt. Des règles et des conseils (sur l’oraison) pourront donc aider l’homme à faire ce qui dépend de lui ; mais elles n’ont pour but ni de nous ligoter, ni d’imposer des lois au Saint-Esprit… Elles nous aident simplement soit à nous mettre en train et à méditer, lorsque la grâce du Saint-Esprit ne se fait pas spécialement sentir, soit à recevoir, à sentir et à suivre les impulsions de cet Esprit17 ».

C’est surtout dans l’art de prier que chacun doit être dirigé selon ses aptitudes personnelles et non pas conduit comme mécaniquement par une méthode trop étroite et artificielle. Un maître en littérature a dit : « Le style, c’est l’homme » ; on pourrait dire de même : l’oraison, c’est l’âme. Chacun a la sienne, avec une nuance qui lui est propre18.

Prière du jour

Prière du Missel romain avant la Messe (Jeudi).
Prière pour le temps de la sécheresse.


Pour aller plus loin…


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome I, Conseils pratiques pour l’oraison — La Très Sainte Trinité — Les perfections divines — La Grâce — Les fins dernières”, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1938, p. 32-42.

  1. Vie de sainte Thérèse, ch. XIII
  2. Œuvres, III, p. 252 et 525.
  3. Gen. XVIII, 16-33 ;
    Exode, XXXII, 7-14 ;
    Esther, XIII, 8-17.
  4. Vie, par le P. LAVEILLE, p. 142.
  5. « Je t’invoque, car tu m’exauces, ô Dieu ; incline vers moi ton oreille, écoute ma prière. » (Ps. XVII, 6)
  6. « Alors, rentrant en lui-même, il dit… » (Luc XV, 17)
  7. Sœur Elisabeth de la Trinité, Souvenirs, p. 94.
  8. Ad te levavi oculos… « …Comme l’œil du serviteur est fixé sur la main de son maître… ainsi nos yeux (sont fixés) sur Iahvé, notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ! » (Psaume 123)
  9. P. L. XXVIII, 515. Brév. rom., fête de la Très Sainte Trinité, leçon IX.
  10. Saint Augustin, Lettre à Proba, P. L. XXXIII, 502.
  11. Du Jeu, Vie de sainte Chantal, p. 283.
  12. Maxime 325, trad. Hoornaert, Desclée, p. 388.
  13. P. Doncœur, S. J., Le Père Al. Hanrion, p. 93.
  14. « Il ne sont pas éclairés par l’audition ; ce faisant, il ont été éclairés. »
  15. Rom., VII, 26. Solliciter, observe S. Grégoire le Grand, est le propre d’un inférieur. « Si donc l’Esprit, égal au Père, sollicite pour nous, c’est tout simplement qu’il met une prière enflammée dans le cœur de ceux qu’il remplit » (MIGNE, P. L., 76, c. 1221).
  16. Par exemple :
    Matt. XV, 22-29 ;
    Jean XI, 21-23 ;
    Luc XI, 1 sq.;
    Matt. VIII, 5-11.
  17. Ouvrage cité, p. 91. Dans le chap. V de ses Etudes de théologie mystique, le P. DE GUIBERT traite des méthodes dans la vie spirituelle. Il montre comment la grâce qui parfois se passe de méthodes, peut aussi pousser l’âme à adopter et à suivre une méthode d’oraison, ce qui d’ailleurs arrivera plus souvent dans les débuts de la vie spirituelle que plus tard, dans la vie apostolique que dans la vie purement contemplative (pp. 226 et 232).
    Les méthodes privées ont une place à côté des méthodes officielles, et cela non seulement à titre d’exception, mais comme secours ordinaire de la vie spirituelle (p. 234). Il ne s’agit donc ni de les substituer aux méthodes officielles (qui y songe ?), ni de les leur préferer, mais d’unir les unes et les autres selon les indications de la Providence et de la grâce (p. 236).
  18. P. VAIUY : Le gouvernement des communautés, p. 625.

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