mercredi 22 janvier 2025.

Conseils pratiques pour l’Oraison — 4. But de l’Oraison

À quoi doit tendre d’abord notre oraison.

Nous avons été créés pour connaître et louer Dieu, pour l’aimer et le servir. Or, s’il est une portion de notre vie terrestre qui doit ressembler à celle du ciel1, qui doit, plus que les autres, être pénétrée d’adoration, de louange, d’amour, d’offrande de nous-mêmes, n’est-ce pas celle qui comprend l’ensemble de nos rapports directs avec Dieu et qu’on pourrait appeler la vie d’oraison ?

N’oublions pas que si, du fait de notre indigence, nous nous présentons forcément à Dieu comme des mendiants, nous lui devons avant toutes choses le tribut d’amour, de gloire et de respect qu’il attend ; n’oublions pas que le premier besoin de notre cœur, lorsqu’il s’épanche en sa présence, doit être de hâter son règne, de sanctifier son nom, et d’implorer l’accomplissement de son adorable volonté.

Rappelons-nous également — que le baptême nous a rendus membres vivants et actifs du Christ vivant et toujours actif : nous devons vivre de sa vie, nous avons accepté, en renouvelant les « vœux du baptême », de participer à sa mission, de Le continuer, de Le compléter, non seulement par nos travaux et nos sacrifices, mais aussi par notre prière. Adimpleo in me que desunt orationum Christi, dois-je pouvoir affirmer à mon tour en adaptant le mot de saint Paul2. C’est dire que je dois faire la part très grande, dans mon oraison, aux grandes intentions de la Sainte Église et de son chef.

La prière modèle laissée par Jésus, le « Notre Père », nous rappelle par ailleurs qu’il ne faut pas craindre, dans l’oraison, de donner une large place à l’expression simple, confiante et humble de nos besoins et de nos désirs personnels, à la prière de demande. C’est ainsi que l’ont toujours compris la piété éclairée des docteurs et des saints3 comme le sens chrétien des fidèles.

Rappelons-nous enfin que l’oraison doit élever vers Dieu non seulement notre esprit, mais notre cœur, mais notre vie morale tout entière, en nous faisant aimer ce que Dieu aime, rejeter ce qu’il rejette.

Aussi a-t-on fort justement défini l’oraison mentale « une élévation et une application de notre esprit et de notre cœur à Dieu, pour lui rendre nos devoirs, lui exposer nos besoins et en devenir meilleurs pour sa gloire4 ».

Des demandes — Motifs à faire valoir — Colloques.

Loin d’attendre la fin de l’oraison pour nous entretenir directement avec Dieu et lui exposer nos désirs, nous laisserons notre cœur s’ouvrir et crier vers lui dès que la grâce nous y portera, nous multiplierons les instances pour nous-mêmes, pour les besoins de notre mère la sainte Église, pour les pécheurs, pour nos œuvres, pour nos amis, parents et bienfaiteurs.

Bref, nous imiterons la Liturgie, qui mêle à tout instant la supplication à la louange, la demande du pardon à l’action de grâce.

Si l’on étudie la prière de demande à la lumière de la liturgie, des écrits de saint Paul5 et de saint Thomas d’Aquin, on remarque qu’elle peut se faire de plusieurs façons. Elle est souvent précédée de « l’invocation » ou interpellation de Dieu :

« Dieu tout-puissant et éternel… Dieu dont c’est le propre d’avoir pitié… Dieu dont la providence ne se trompe jamais… »

On reconnait ici les formules préférées de la liturgie. Ces invocations, si elles viennent du cœur, réalisent l’élévation de l’âme vers Dieu qui définit le premier temps de la prière.

Forme de la requête

Nous pouvons maintenant produire notre requête. Nous le ferons, selon les cas, par manière « d’insinuation », de « supplication », ou de « demande » au sens précis…

L’insinuation

— se contente de mettre notre indigence et détresse sous les yeux de Dieu, sans rien ajouter. La réalité parle toute seule…

La supplication

est un vif et pressant appel à la toute-puissance miséricordieuse de Dieu, mais comme au bénéfice de toute notre misère et sans rien préciser.

La demande,

au contraire se préoccupe de spécifier ce que nous désirons et sollicitons6 .

Motifs à faire valoir.

Il est très utile, dans nos demandes, de faire comme la Sainte Église, et d’appuyer nos requêtes sur les motifs qui nous semblent les plus propres à toucher le cœur de Dieu. C’est ce qu’on appelle « l’obsécration7 ». Elle se relie à « l’invocation » initiale et la développe.

Ces motifs peuvent se ramener à trois chefs.

Du côté de Dieu…

Ils se prennent du côté de Dieu en tant que Dieu8,

  • lorsque nous glorifions ses attributs et ses perfections,
  • que nous en appelons à sa qualité de Père, infiniment plus vraie en lui que chez les hommes9, à son désir de nous combler de biens,
  • ou que nous lui rappelons sa fidélité en ses promesses. Ce dernier motif revient sans cesse dans l’Ancien Testament.
Du côté de Jésus-Christ…

D’autres motifs se prennent du côté de Jésus-Christ, notre avocat10 et notre médiateur.

  • Nous pouvons l’invoquer, comme la Liturgie le pratique dans la prière des Rogations, « par son Incarnation, sa Nativité, sa Croix et sa Passion, par sa sainte Résurrection ou son admirable Ascension ».
  • Nous lui représenterons tout ce qu’il a enduré de souffrances pour nous mériter ces secours, pour nous assurer ces grâces dont nous avons un tel besoin.
  • Nous solliciterons sa pitié par ses plaies glorieuses, par son Cœur ouvert aux pécheurs comme un asile inviolable, par l’amour qu’il nous porte et l’amitié qu’il daigne nous offrir, par ses vertus, sa douceur, son humilité, son admirable obéissance.
De notre côté…

D’autres motifs se tirent de nous-mêmes, de notre misère et de notre indigence.

  • Nous nous présenterons à Notre-Seigneur comme les paralytiques, les aveugles, les infirmes qui se pressaient autour de lui en Galilée,
  • lui rappelant avec insistance qu’il est venu pour les pécheurs, pour les malades et non pour ceux qui se portent bien11.

Parfois des âmes extrêmement humbles et unies à Dieu pourront, si la grâce les y porte, faire valoir avec une sainte liberté, à l’exemple du roi Ezéchias12, les services rendus à la cause de Dieu.

Remarquons enfin que, s’il convient d’alléguer ainsi des raisons dans la prière, c’est beaucoup plus pour exciter notre cœur à prier avec ferveur, dévotion et confiance, que pour incliner Dieu à nous exaucer, car notre Père céleste désire « nous accorder le bon esprit » mille fois plus que nous ne souhaitons le recevoir. Mais, il nous est bon de nous rappeler les perfections de Dieu et tout ce qu’il a fait pour nous.

Pour le même motif, il nous sera très profitable de suivre l’avis de saint Paul et de joindre à ces pétitions des actions de grâce pour les bienfaits reçus :

« En toute circonstance, faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, avec des actions de grâce13 ».

L’obsécration, pour se faire exaucer, « cherchait des motifs en Dieu ; l’action de grâce les trouve en nous-mêmes. Pour incliner Dieu à nous accorder de nouveaux bienfaits, nous alléguons à Dieu ceux dont il nous a déjà comblés. L’obsécration disait : N’êtes-vous pas toujours le même ? Continuez donc d’agir (avec la même bonté et la même miséricorde). L’action de grâce dirait plutôt, (tout en remerciant…) : c’est encore moi, c’est toujours moi, un habitué de vos miséricordes, un bénéficiaire attitré de vos largesses. C’est un titre aussi…14 »

Quant au succès de nos demandes, de nos désirs, il ne sera pas toujours immédiat, loin de là, et souvent même ne répondra guère à notre attente. C’est alors le cas d’exercer notre esprit de foi, de faire crédit à Dieu, à sa bonté qui ne refuse que pour donner mieux, à sa sagesse qui diffère pour accorder davantage.

« J’ai le signe de la charité, a dit Jacopone de Todi, si je demande une chose à Dieu, et que Dieu ne me l’accordant pas, je l’en aime davantage, ou que Dieu m’accordant le contraire, je l’en aime deux fois plus ».

« En vérité, en vérité, a déclaré Jésus après la Cène, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. Jusqu’ici, vous n’avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite ».

Remarquons bien ces paroles et demandons-en l’explication à saint Augustin :

« On ne demande pas au nom du Sauveur ce qu’on demande de contraire à l’ordre du salut. C’est cela que le Christ veut dire en recommandant de prier « en son nom »… La joie parfaite, la joie (du ciel), voilà ce que nous devons solliciter au nom du Christ, en entendant par là la grâce divine, la vraie vie heureuse. Tout ce qu’on demande en dehors de là, c’est comme si on ne demandait rien, non qu’en soi cela ne représente déjà quelque chose, mais parce que, en comparaison du bonheur céleste, tout ce qu’on peut souhaiter d’autre n’est que néant15 ».

  • Demandons les vrais biens, ceux que le divin Sauveur nous a mérités par les mystères de sa mort et de sa résurrection,
  • demandons la vie éternelle, la vie divine16 ;
  • demandons la contrition parfaite,
  • demandons de croître sans cesse dans la foi, dans l’espérance, dans l’amour,
  • et soyons certains d’avance que nous sommes exaucés17.

Mais, ce sera généralement par ses voies à Lui, et non par les nôtres, ce sera par des épreuves inattendues, par des vertus différentes des vertus ambitionnées que Dieu nous conduira à la joie parfaite de l’éternité.

Il existe un moyen d’être exaucé infailliblement…

— c’est de prier Notre-Seigneur de réaliser sa pensée sur nous, d’achever le plan qu’il a formé à notre sujet. Alors, l’Esprit divin s’en porte garant, nous sommes certains d’être exaucés :

« Voici, déclare en effet, l’apôtre saint Jean, quelle est l’assurance que nous avons à l’égard (du Fils de Dieu), c’est que, toutes les fois que nous demandons quelque chose suivant sa volonté, il nous écoute18 ».

Rappelons-nous ici avec quels accents le Fils de Dieu nous a pressés de demander le bon esprit, le saint esprit19, de le demander avec instance, de le demander avec la certitude que le Père céleste n’a pas de plus grand désir que de le donner à ses enfants et de leur donner en même temps tous les biens spirituels dont le Saint-Esprit est l’auteur et l’abrégé.

« Père céleste, donnez-moi le bon esprit », répétait le bienheureux Pierre Favre en commençant chacun des psaumes de son office.

Est-il prière au monde qui soit plus conforme « à la volonté du Fils de Dieu », plus sûre d’obtenir son effet ? Mais, il faut la redire obstinément, comme la veuve qui réclame justice et l’obtient par son importunité.

  • Demandons encore, mais à la condition de nous soumettre au bon plaisir de Dieu, tout ce que notre cœur désire, de manière légitime, pour nous et pour autrui.
  • Agissons familièrement avec notre Père céleste, sollicitons la délivrance de tout mal, même corporel, la santé, le pain quotidien et les multiples faveurs temporelles qui sont comprises dans la seconde partie du Pater20.

C’est ce que nous apprend à faire la Liturgie de l’Église, « cette incomparable maîtresse de prière21 ». Dieu aura d’autant plus à cœur de nous exaucer qu’il tiendra davantage à développer notre confiance dans l’efficacité de la prière22.

Prière du jour


Pour aller plus loin…


Notes & Références

Sujet d’Oraison pour tous les jours de l’année, Tome I, Conseils pratiques pour l’oraison — La Très Sainte Trinité — Les perfections divines — La Grâce — Les fins dernières”, P. J.-B. Gossellin, S.J., 2ᵉ édition revue et augmentée, Apostolat de a prière, Toulouse, 1938, p.1-9.

  1. S. Thomas appelle la contemplation, degré supérieur et couronnement de l’oraison, « une sorte de prélude à la béatitude » céleste (II, II, q. 180, a. 4).
  2. Nous avons développé cette pensée dans les chapitres I et XVII de La Prière du Christ dans le cœur du chrétien.
  3. Cf. S. Thom., II, II, q. 83, a. 1, citant S. Jean Damascène : « Prier, c’est demander à Dieu ce qui convient » ; et S. Paul : « En toute prière… expose à Dier vos demandes » (Phil., IV, 6).
  4. Mgr A. SAUDREAU, Degrés de la vie spirituelle, I, n° 128.
  5. « Avant tout, j’exhorte donc à faire des prières, des supplications, des intercessions, des actions de grâces pour tous les hommes. » I Tim. II, 1
  6. R. P. A. Lemonnyer, o. p., La prière chrétienne de demande ; Vie spirituelle, février 1925, p. 572-573.
  7. Obsécration : Prière, formule par laquelle le on implore l’assistance de Dieu, ou de quelqu’un au nom de Dieu.
    « Ah ! Seigneur, souvenez-vous de l’enclos de Gethsémani, de la tragique défection du père que vous imploriez dans d’indicibles affres ! Souvenez-vous qu’alors un ange vous consola et ayez pitié de moi, parlez, ne vous en allez pas ! » (…) il pria, et il eut de nouveau cette sensation très précise, que ses obsécrations ne portaient point, n’étaient même pas entendues. (Huysmans, En route, t.2, 1895, p.194)
  8. Cf. S. Thom., II, II, q. 83, a. 17.
  9. Relire avant de prier, Luc XI, 13 : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent ? »
  10. « Les petits enfants, je vous écris CS choses, afin que vous ne pêchiez point. Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le juste » I Jean II, 1
  11. Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les juste à la pénitence, mais les pécheurs. » Luc V, 31-32
  12. « David revint dans sa maison, à Jérusalem, et le roi prit les dix concubines qu’il avait laissées pour veiller sur sa maison, et les mit dans une grande maison gardée. Il pourvut à leur entretien, mais il n’alla plus vers elles ; et elles furent enfermées jusqu’au jour de leur mort, vivant ainsi dans l’état de veuvage. » II Rois XX, 3
  13. « Avant tout, j’exhorte donc à faire des prières, des supplications, des intercessions, des actions de grâces pour tous les hommes pour les rois et pour ceux qui sont constitués en dignité, afin que nous passions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. » I Tim., II, 2.
  14. R. P. LEMONNYER, article cité, p. 573.
  15. V° Dim. après Pâques, Matines, leçons VII et IX.
  16. Et la souffrance, dira-t-on, est-il louable de la demander ? Nous nous contenterons de répondre par un mot de la Mère Couderc : « Il faut réfléchir et prier avant de demander la souffrance, car Dieu exauce vite » une telle requête. La prudence conseille également de s’en ouvrir d’abord à son directeur.
  17. « La familiarité dans l’oraison, disait le P. R. de Maumigny, consiste beaucoup, beaucoup, dans une confiance naissant de l’amour. »
  18. Ire Epître V, 14. Saint Jean, dans cette Epître, revient à plusieurs reprises sur la parresia, « disposition de confiance, d’assurance, de liberté hardie aussi et presque audacieuse, disposition qui pousse à prier avec la certitude qu’on sera exaucé ; disposition qui est entretenue également par l’expérience, renouvelée quotidienne-ment, de voir ses demandes accueillies par Dieu »
    (R. P. BONSIRVEN, Epîtres de S. Jean, p. 196). Pareille assurance est exigée aussi par S. Jacques (I, 6) et par Notre-Seigneur lui-même (Mare, XI, 22 et sq.).
  19. (le texte grec porte hagion) (Luc, XI, 13)
  20. Cf. S. AUG., P. L. 33, 502 D, 506 B.
  21. S. S. PIE XI, 12 février 1932.
  22. On relira ii avec profit le beau sermon du Bienheureux P. DE LA COLOMBIÈRE sur la prière Œuvres, LXIX) et l’entretien de l’abbé Huvelin sur le discours après la Cène (L’Amour de Notre-Seigneur, I, p. 59- 68).

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